Comment agir sur le cerveau pour être de bonne humeur

La bonne humeur est bien plus qu’un simple état d’âme: c’est un mécanisme cérébral fondamental en lien avec notre survie.

PSYCHOLOGIE - Vous vous êtes levé(e) du bon pied ce matin et rien ne semble pouvoir vous assombrir: ni la tasse de café qui, par maladresse, se fracasse contre le carrelage de votre cuisine, ni même les petites hésitations de votre conjoint(e) qui a encore oublié où il (elle) avait mis les clés de la voiture…

Une autre fois, le ciel bas vous pèse sur le moral comme un couvercle, quand soudain le coup de fil d’une amie chère vous transporte de joie et colore votre journée d’une teinte différente. Et puis il y a cette voisine qui semble traverser son existence un sourire accroché aux lèvres, malgré les drames de sa vie.

Difficile de décrire exactement ce qui se passe dans le cerveau d’une personne de bonne humeur. Enquêter sur la bonne humeur, c’est un peu comme se demander pourquoi les trains sont à l’heure. Jusqu’à récemment, il y avait peu d’études sur le sujet. Résultat: cet état d’esprit positif mais pas excessif, qui n’est ni de la joie ni de l’euphorie et qui s’inscrit dans la durée, reste mystérieux. Les scientifiques commencent juste à en percer les secrets.

Cet article a été publié dans l’hebdomadaire “La Vie”, retrouvez d’autres contenus connexes

Mécanisme cérébral en lien avec notre survie

Ce qu’ils découvrent est étonnant. La bonne humeur est bien plus qu’un simple état d’âme: c’est un mécanisme cérébral fondamental en lien avec notre survie. Gilles Pourtois, professeur de psychologie à l’université de Gand, en Belgique, a ainsi travaillé sur la façon dont la bonne humeur change notre perception du monde, en modifiant notre processus cognitif. Bonne nouvelle: c’est aussi un état que nous pouvons cultiver!

Le psychiatre Michel Lejoyeux explore ainsi, dans Les Quatre Saisons de la bonne humeur (JC Lattès), les méthodes prouvées scientifiquement pour cultiver cette vision positive. À l’origine de la bonne humeur, il y a un neurotransmetteur, la dopamine, générée dans les régions profondes du cerveau. “Lorsque vous apprenez une nouvelle qui vous fait plaisir, par exemple, vous ressentez un shoot d’énergie, dû à une décharge de dopamine dans votre cerveau, explique Gilles Pourtois. Cela vous donne un gain énergétique, vous vous sentez puissants.”

Mais la dopamine ne suffit pas à expliquer l’effet à moyen ou long terme de la bonne humeur. Un autre neurotransmetteur agirait également: la sérotonine, que l’on utilise d’ailleurs dans les antidépresseurs. C’est l’équilibre entre ces deux neurotransmetteurs qui serait la recette de la bonne humeur chez l’humain.

Plus attentif à la nouveauté

Celle-ci ne procure pas seulement du bien-être, elle va littéralement changer votre perception du monde. Car, une fois libérée, la dopamine se propage dans le cortex préfrontal, la partie du cerveau chargée des processus cognitifs. Une expérience menée par Gilles Pourtois a ainsi montré que les personnes mises dans un état de “bonne humeur”, grâce à une technique de visualisation d’événements heureux, disposaient d’un champ visuel plus large que les autres lorsqu’elles effectuaient un test de repérage de cibles sur l’écran d’un ordinateur.

“Notre cerveau fonctionne selon deux modes, analyse le chercheur: le mode ‘exploitation’ lorsque celui-ci travaille sur les données déjà emmagasinées, ce que nous faisons, par exemple, quand nous dormons ou ruminons des pensées. Et le mode ‘exploration’ lorsque le cerveau traite les stimulus extérieurs. L’action de la dopamine sur notre cerveau lui donne l’énergie qu’il faut pour le faire passer en mode exploration.”

Une humeur positive vous amène ainsi à ouvrir votre esprit et vos yeux sur ce qui se passe autour de vous. Vous êtes plus attentif à la nouveauté, plus apte à associer des idées. En revanche, les personnes qui se trouvent dans un état d’esprit négatif vont avoir tendance à focaliser leur attention sur elles-mêmes, à ruminer des pensées négatives.

Un peu comme si vous évoluiez dans la vie avec deux appareils photo: l’un doté d’un grand-angle et de toutes les optiques, et l’autre qui ne ferait que des selfies en gros plan. Quand vous êtes de mauvaise humeur, vous êtes en mode selfie, introverti. Quand vous êtes de bonne humeur, vous optez pour le grand-angle et la vue panoramique. Cela va vous permettre de voir des choses que vous n’aviez pas envisagées.

La bonne humeur rend plus créatif

Plus étonnant encore, la bonne humeur a aussi un effet sur la façon dont le cerveau gère les erreurs. Lors de l’expérience menée à l’université de Gand, les scientifiques ont remarqué que les personnes qui avaient un état d’esprit positif accordaient moins d’importance au fait de se tromper. “Lorsque nous faisons une erreur, un signal d’alarme retentit dans notre cerveau, explique Gilles Pourtois. Ce mécanisme de détection de l’erreur est moindre lorsque nous sommes de bonne humeur. Or, considérer une erreur comme une simple donnée, et non comme quelque chose de forcément négatif, permet de la traiter comme une information en soi et d’en tirer un enseignement.”

Ce mode “test-erreur” allié à celui de l’exploration fait que la bonne humeur vous rend plus créatif! Terminé, le mythe du génie torturé. Tout le monde n’a bien sûr pas la même faculté à voir la vie en rose.

“Cela dépend à la fois de notre patrimoine génétique et des traumatismes vécus. Si votre transmission dopaminergique (le mécanisme de gestion de la dopamine) est défaillante parce que certains gènes vous manquent et que vous avez été confronté à des traumatismes majeurs pendant votre enfance, vous avez davantage de risques de développer des troubles de l’humeur à l’âge adulte”, prévient ainsi Gilles Pourtois.

L’étonnant pouvoir du sourire

Même si nous ne souffrons pas de dépression ni d’autres pathologies, nous pouvons agir sur notre humeur. Dans son livre Les Quatre Saisons de la bonne humeur, Michel Lejoyeux liste une série de techniques, toutes validées scientifiquement, qui permettent de développer notre capacité à être de bonne humeur: écouter de la musique en pleine conscience, par exemple: “Des études ont montré que certaines mélodies ont un effet euphorisant car elles agissent sur notre rythme cardiaque, explique Michel Lejoyeux. C’est le cas par exemple de la Marche turque de Mozart ou bien du jazz énergisant de Take Five de Dave Brubeck.”

Autre découverte: l’étonnant pouvoir du sourire. Ainsi, lorsque vous faites fonctionner vos zygomatiques, vous activez aussi certains neurones. Les muscles du visage, fortement connectés au cerveau, vous permettent de fabriquer des antidépresseurs naturels. Forcez-vous à sourire lorsque vous vous sentez morose, cela pourrait améliorer votre état d’esprit.

D’autres conseils sont davantage de l’ordre du bon sens: faire de l’exercice physique, s’exposer à la lumière, adopter un régime alimentaire riche en vitamine D et en aliments fermentés qui boostent la production de sérotonine. Pour être de bonne humeur, il suffirait de suivre les conseils de notre mère, car la science lui donne (une fois de plus…) raison!

Pas si étonnant, car notre humeur est sans doute liée à nos besoins fondamentaux. C’était déjà l’intuition des Grecs qui, dans l’Antiquité, faisaient le lien entre humeur et organes. Nous en avons d’ailleurs nous-mêmes l’intuition lorsque la faim qui nous tenaille le ventre nous met de mauvais poil.

Sensation de plein et d’énergie

Dans un livre étonnant, How Emotions Are Made, la neuroscientifique états-unienne Lisa Feldman Barrett va plus loin. Avec son équipe, elle s’est penchée sur ce que les scientifiques appellent l’“intéroception”, soit la perception que nous pouvons avoir de notre propre corps: les battements de notre cœur, ceux de notre pouls par exemple, et même les sensations que nous procurent les mouvements de nos viscères… Et elle a fait une découverte étonnante: les zones du cerveau qui traitent ces données forment un réseau neuronal en lien avec celles qui gèrent nos émotions et nos humeurs.

Ainsi, nos humeurs seraient liées à ce que notre cerveau perçoit de l’état de notre corps. D’après Lisa Feldman Barrett, le cerveau fonctionne de façon prédictive: il ne réagit pas à la réalité, il élabore des prédictions. Celui-ci anticipe ce qui se passe dans le reste du corps avant même que cela se produise à partir des signaux qui lui parviennent et des expériences passées.

Son principal objectif est de maintenir l’équilibre entre les dépenses et les gains d’énergie, ce que les scientifiques nomment “allostasie”. En clair, notre cerveau fonctionne comme le département chargé des finances d’une entreprise. Il liste les recettes et les dépenses et effectue des transferts d’argent, afin que son budget reste à l’équilibre.

Ce n’est pas de tout repos: sans cesse sollicité (chaque action, chaque pensée a un coût énergétique), le cerveau va chercher à toujours compenser les dépenses par des gains. Les sensations de calme ou d’agitation, de plaisir ou de déplaisir, ce que les scientifiques nomment les “affects”, seraient ainsi des résumés de l’état de notre “budget corporel” venant de notre système intéroceptif. Si vous vous sentez de mauvais poil de façon chronique, c’est sans doute que vous avez besoin d’un dépôt d’urgence. Dans ce cas, peut-être faut-il vous demander si vous dormez assez, ou si vous vous êtes alimenté correctement ces derniers jours, avant de rejeter la faute sur votre conjoint(e)… Si le compte est OK, si votre réservoir est plein, vous êtes rempli d’énergie, et c’est cette sensation de plein, d’énergie à disposition, que nous nommons “bonne humeur”.

Ainsi armé(e), vous êtes plus apte à faire face aux aléas de la vie. Notre capacité à produire de la bonne humeur est comme un kit de survie que nous pouvons utiliser en cas d’urgence. “C’est un médicament qui permet de gérer au mieux les événements de stress majeurs: un divorce, un accident ou la perte d’un proche. Tous ces drames vous mettent dans une situation à risque, analyse Gilles Pourtois. Sans cette possibilité de produire cette humeur positive qui influe sur votre perception de la réalité, vous risqueriez de vous rétracter sur vous-même et ne plus être capable de gérer vos besoins primaires. La bonne humeur est un mécanisme qui vous permet de créer les ressources cérébrales nécessaires afin de retrouver un niveau d’humeur normale qui oscille entre le positif et le négatif. C’est là l’un des secrets des personnes résilientes!” Plus vous serez capable de produire de la bonne humeur, plus vous serez en mesure d’affronter les difficultés de la vie. Au travail!

Adoptez le régime de la bonne humeur! Les conseils de Michel Lejoyeux

Vous pouvez agir sur votre humeur. La première chose étonnante est l’effet de l’exercice physique: il vous suffit d’effectuer 6 min de marche rapide pour augmenter de 30% votre niveau de bonne humeur.

Vous pouvez aussi modifier votre alimentation. Une étude récente a comparé les régimes alimentaires de personnes de bonne et de mauvaise humeur. Or, certains aliments étaient, étonnamment, davantage consommés chez les premiers: les cornichons, les yaourts, la choucroute et les pickles! Qu’ont-ils en commun? Ce sont tous des aliments fermentés qui font travailler le tube digestif et lui font produire des neuromédiateurs, comme la sérotonine, dont le cerveau a besoin pour se maintenir dans une humeur positive. Autre molécule importante, la vitamine D permet de bien faire fonctionner les noyaux gris centraux, neurones du centre du cerveau. Vous pouvez en faire le plein grâce à l’alimentation. On la trouve dans les sardines et les maquereaux, par exemple. La lumière permet également de la synthétiser.

Là encore, pas besoin de s’exposer des heures au soleil, ce qui d’ailleurs pourrait être dangereux pour la santé. On sait aujourd’hui qu’il suffit de passer une heure par jour seulement à la lumière, même artificielle, pour bénéficier des bienfaits de la vitamine D. Donc, ayez chez vous au moins une pièce particulièrement bien éclairée, surtout en hiver lorsque les journées sont plus courtes.

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