L'homme a créé des mégafeux que seules des politiques écologiques peuvent arrêter

Un pompier dans l'incendie qui touche le département du Var, le 17 août 2021. Des milliers de personnes, dont des touristes dans des campings, ont été évacuées près de Saint-Tropez. Environ 1200 pompiers et des Canadair luttent contre le feu dans des conditions difficiles, avec des températures élevées et des vents forts. (Photo by NICOLAS TUCAT/AFP via Getty Images)

La forêt est de plus en plus inflammable. L’évolution qui se devinait il y a quelques années est avérée. Des régions françaises toujours plus vastes, du nord au sud, de l’est à l’ouest, sont menacées. Nous avons changé de régime de feu, mais avons-nous changé de comportement, de croyance, de finalités? En partie oui, mais trop timidement.

Alors de quoi s’agit-il? Avant, nous avions des feux saisonniers, des feux de surface, des brûlages ou des feux dirigés. Ces feux étaient habituels. Les uns étaient dus à des éclairs par temps d’orage sec, les autres, en grande majorité, à des activités humaines. Beaucoup qui relevaient depuis homo erectus de brûlages volontaires étaient destinés à aménager un habitat humain tout en entretenant la forêt. Comme l’a montré Stephen Pyne, un historien du feu, les paysages que nous connaissons ont été largement façonnés par les usages anthropiques des feux. Pensons par exemple au bush australien ou à la forêt méditerranéenne.

 

Les gens ont tendance à penser que les feux actuels sont inévitables et qu’ils font partie des cycles naturels normaux.

 

Désormais, partout se propage un nouveau type de feu, les mégafeux. Ce sont des feux extrêmes parfaitement destructeurs qui consument jusqu’aux racines des grands arbres et parfois, couvent sous la surface durant des mois, pour réapparaître soudain avec violence. En Australie, en Sibérie, autour de la Méditerranée, dans l’ouest de l’Amérique du Nord, ce sont des feux hors normes en termes d’intensité, d’étendue, de rapidité de propagation, comme on l’a vu dans le Var ces jours-ci. Leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre et à l’augmentation des maladies dues à la respiration de particules fines est considérable. Aucune technologie humaine ne peut les dominer. Ils sont proprement incontrôlables et ne meurent que de causes naturelles si l’on peut dire, quand le vent tombe, quand il se met à pleuvoir, ou quand il n’y a plus rien à brûler. Un Canadair ou un bombardier d’eau peut “fixer” des feux atteignant 10.000 kW/mètres, mais pas ceux qui atteignent, comme ce fut le cas en Australie, 80.000 kW/mètres. “Tuer le feu”, voilà qui devient utopique. Impuissants face aux flammes, les pompiers rendent toutefois un immense service pour lequel il faut leur rendre hommage, celui de protéger les habitations quand c’est encore possible et surtout, d’évacuer les gens en danger et de sauver des vies.

Ce changement de régime de feu dont nous avons des preuves de plus en plus décisives est dû à deux séries de causes principales. En premier lieu, le réseau infernal des activités humaines destructrices du climat et des équilibres naturels en raison des émissions de gaz à effet de serre et autres pratiques destructrices de la nature joue un rôle fondamental. Les températures d’un autre monde, le dessèchement et la fragilisation de la végétation, le déchaînement des vents, dont ceux que produisent les mégafeux eux-mêmes, l’aggravation des sécheresses et l’allongement des saisons du feu, tout cela rend les forêts extrêmement vulnérables.

 

Le lien entre les mégafeux et ce double fléau de la destruction de la nature et de la destruction culturelle des peuples des forêts est une évidence pour les spécialistes depuis longtemps.

 

Quant à la seconde série de causes des mégafeux, elle réside dans une attitude inverse à la première, celle qui consiste à “protéger” la nature au prétexte qu’elle serait parfaite, à la sanctuariser au nom d’une expérience romantique, à la soustraire à toute activité humaine au nom d’une pureté originelle à retrouver. C’est au nom de ce genre de croyances que sont nées les politiques d’interdiction des feux dirigés et des feux naturels dès la première flamme. C’est également au nom du préjugé selon lequel les autochtones, qu’il s’agisse des Amérindiens, des Aborigènes ou des populations locales rurales de nos pays européens, ont été déclarés inaptes à la gestion de la forêt qu’ils cultivaient pourtant depuis des millénaires et ont reçu l’interdiction de pratiquer leur “culture du feu”, selon une expression corse. Or, faute d’entretien, la biodiversité souvent reflue, les forêts s’encombrent d’une quantité trop importante de matières sèches, les strates intermédiaires de la végétation étouffent les arbres et servent de tremplin aux flammes, bref, la forêt se fragilise et devient trop inflammable.

Le lien entre les mégafeux et ce double fléau parallèle de la destruction de la nature et de la destruction culturelle des peuples des forêts est une évidence pour les spécialistes depuis longtemps. Mais pour les autres, l’évidence est moindre. Par ignorance ou négligence, voire par mauvaise foi, les gens ont tendance à penser que les feux actuels sont inévitables et qu’ils font partie des cycles naturels normaux. Or, à l’exception bien sûr des brûlages dirigés qui continuent d’être organisés, notamment en Afrique, ce n’est plus le cas. Quand ils en prennent acte, les gens se sentent alors impuissants. Quand le feu frappe à leur porte, ils se résignent à un certain catastrophisme.

Or si la “lutte” directe contre les mégafeux est perdue d’avance, la prévention est déterminante. Elle mobilise tout le monde, à commencer par les riverains qui peuvent débroussailler leur coin, maintenir les arbres à distance de leur habitation, surveiller les départs de feu. Dans le Gard, les gens s’organisent pour établir des veilles nocturnes et réaménager leur territoire afin de le rendre plus résistant aux flammes. C’est en combinant les savoirs, ceux des forestiers et des écologues, des chimistes et des éleveurs, des paysans et des ingénieurs, des habitants et des touristes, que la connaissance globale de la forêt dont le développement public est nécessaire à la prévention des mégafeux pourra s’établir.

 

La contribution de ces feux aux émissions de gaz à effet de serre et à l’augmentation des maladies dues à la respiration de particules fines est considérable. La prévention devrait aussi mobiliser les électeurs.

 

La prévention devrait aussi mobiliser les électeurs qui devraient diligemment condamner leurs représentants pour leur inaction en faveur du climat et se tourner vers ceux qui pourraient mener des actions efficaces contre les gros pollueurs (la reconnaissance du crime d’écocide est une bonne nouvelle) et, plus généralement, en faveur de l’adoption urgente des paradigmes écologiques. De fait, le poids électoral des personnes convaincues augmente et fait pression. C’est pourquoi on doit considérer comme une victoire politique déterminante de l’opinion publique elle-même le fait que le président américain Joe Biden ait récemment affirmé que les feux gigantesques qui sévissent en Californie sont des signes du dérèglement climatique et doivent déterminer le gouvernement à agir énergiquement en faveur de la planète. Même s’il n’a pas été aussi radical, le président Emmanuel Macron, en se rendant dans le Var, a également entériné publiquement et officiellement le lien entre les activités destructrices de la planète et les mégafeux.

“Quand le feu passe, tout change” écrivait Gaston Bachelard. Espérons qu’il n’anéantira pas nos paysages et qu’au contraire des changements cauchemardesques qu’il provoque, il naîtra du feu qui passe une opinion écologique mondiale.

 

“Quand la forêt brûle” de Joëlle Zask, éditions Premier Parallèle, sortie août 2019, 208 pages, en savoir plus ici

 

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