ÉDUCATION - C’est le jour J. Ce lundi 21 juin marque le début de l’épreuve inédite du grand oral. Cet examen final porte d’abord sur la présentation de l’un des deux sujets en lien avec les spécialités des candidats choisies, ce sujet est tiré au sort le jour de l’épreuve. Puis s’en suit un entretien avec le jury notamment autour de l’orientation future du bachelier. Le gouvernement défend coûte que coûte cet oral visant à “prendre la parole en public de façon claire et convaincante”.
Or, “les épreuves orales font appel à des capacités qui sont davantage encouragées chez les garçons, en particulier la confiance en soi, la capacité à parler en public, l’aisance dans le rapport aux autres, l’esprit de compétition”, rapporte la sociologue Alice Olivier au journalLe Monde.
Dès la maternelle, les filles demandent la parole et les garçons la prennent. Parce qu’elle est autant le reflet que la matrice de nos normes sociales, l’école, cette “société miniature” censée lutter contre les stéréotypes de genre, est paradoxalement le lieu propice pour étudier la manière dont les inégalités se manifestent.
Une prise de parole plus masculine en classe
Dès la petite enfance, on apprend aux filles à être sages, discrètes, dociles, attentionnées, soignées, à lever la main avant de prendre la parole. Les garçons, eux, adhèrent aux modèles du perturbateur ou de l’élève brillant mais paresseux. Ils sont davantage encouragés à “cultiver un côté plus rentre-dedans et fonceur”, explique Annabelle Allouch pour L’Express.
Cette socialisation influe sur l’inégalité de genre dans le domaine de la prise de parole. En classe, les garçons ont davantage tendance à occuper l’espace sonore, à intervenir sans y avoir été invités, ou à couper la parole pour exprimer leur point de vue. Les filles, quant à elles, ont appris à prendre “moins de place physiquement et intellectuellement, et à supporter, sans protester, la dominance du groupe des garçons, en somme à rester ‘à leur place’”, soulève la professeure en sciences de l’éducation Nicole Mosconi, dans son article “Effets et limites de la mixité scolaire”
D’un point de vue sociologique, la classe et l’école sont des lieux sociaux où la circulation de la parole est inséparable des représentations réciproques, des relations de pouvoir, des habitus et des appartenances culturelles. La prise de parole d’un élève est donc liée à des enjeux d’affirmation de soi et d’accès au débat démocratique.
“Depuis les années 80 (...) deux tiers des prises de parole sont le fait de garçons et un tiers de filles” indique Isabelle Collet, professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève, contactée par Libération. Souvent spontanées, ces prises de parole “viennent souvent d’un groupe de garçons qui préfèrent répondre vite pour ne pas disparaître dans le fonctionnement de la classe”, ajoute la sociologue. L’objectif, être visible, peu importe la prestation. Car la virilité n’est pas de parler, mais de s’autoriser à être visible par la parole.
La mise en scène à l’oral, une difficulté de plus
Selon la sociologue Marie Duru-Bellat, les filles ont tendance à se sous-estimer lorsqu’elles sont en présence de garçons. Exigeantes sur la qualité de leur réponse, elles adhèrent moins bien à la mise en scène de soi attendue à l’oral, surtout lorsqu’elles sont issues de milieu populaire. “Une mise en scène correspondant à des stéréotypes de genre et de profession valorisés par l’institution, qui vont influencer, même inconsciemment, le jugement du jury”, expose Annabelle Allouch, dans l’interview consacrée à L’Express.
Et pour preuve, en août 2020, les concours sans oraux avaient fait bondir la part de femmes admises à l’École normale supérieure. “Les filles apprennent mieux à correspondre aux attentes de l’école et obtiennent généralement de meilleurs résultats, notamment à l’écrit”, justifiait Alice Olivier, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Lille au journalLe Monde. Par ailleurs, lorsque la discipline est réputée “genrée” (comme une épreuve de littérature), les examinateurs ont tendance à favoriser le genre minoritaire.
Les enseignants entérinent cette différenciation de genre. Dans son travail de recherche, Nicole Mosconi révèle que les professeurs accordent plus de temps aux élèves masculins, avec un suivi plus personnalisé. A contrario, les filles sont considérées comme un “groupe indifférencié” et plus studieuses.
Manque de légitimité
“Il y a dans l’imaginaire collectif l’idée que les garçons sont plus turbulents, qu’ils ont besoin de s’exprimer, et que c’est bien normal. On le tolère, tout comme on les laisse salir leurs habits. Les filles sont, elles, plus vite rabrouées quand elles transgressent les règles”, commente Marie Duru-Bellat dans Le Monde.
Et même si elles obtiennent de meilleurs résultats scolaires, les filles doutent plus facilement de leur légitimité, ou de leur capacité à réussir un examen. “À l’école comme en réunion, les femmes ont tendance à plus se demander : ce que je pense vaut-il le coup d’être dit?”, pointe Marie Duru-Bellat. L’héritage historique compte aussi beaucoup dans ce sentiment d’illégitimité. Pendant des siècles, les femmes ont été exclues des tribunes. D’ailleurs, ce que l’on constate dans le milieu scolaire n’est que le reflet de ce qui se passe dans la société en général.
Est-ce à dire que les lycéennes obtiendront une moins bonne note que les lycéens? Rien n’est moins sûr. “Cette épreuve est cadrée par des normes scolaires estime pour sa part Marie Duru-Bellat auprès de Libération, et, de ce point de vue, les filles préparent mieux leurs examens.”
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