Bac 2021: face à des copies bâclées, les profs de philo désemparés

L'épreuve de philosophie du bac 2021 a eu lieu le 17 juin.

BAC DE PHILO - Si l’épreuve de philosophie du bac est souvent redoutée, cette année elle a surtout été bâclée. En effet, lors de l’examen qui a eu lieu le 17 juin, très nombreux sont les candidats à être sortis au bout d’une petite heure, sur les quatre accordées pour rédiger, au choix, une dissertation ou une explication de texte.

Les professeurs le craignaient, c’est ce qu’il s’est passé. Il faut dire que les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette épreuve étaient quelque peu particulières. Et pour cause: cette année, le contrôle continu représente au minimum 82% de la note finale de l’examen. À quoi correspondent les 18% restants? À la note de l’épreuve de philosophie, ainsi qu’à celle du grand oral. Mais même en philosophie, c’est la meilleure note entre celle obtenue à l’épreuve et celle du contrôle continu qui sera retenue. Autant dire que l’enjeu, pour les candidats, était mince.

“On craignait que les élèves ne jouent pas le jeu, et c’est vrai que l’investissement n’était peut-être pas aussi intensif que les années précédentes”, note auprès du HuffPost Thomas*, qui enseigne la philosophie dans le sud de la France. Sur les 120 copies qu’il a corrigées, beaucoup sont très courtes. 

“Ils ne se sont pas foulés”

Le constat de Laurent Nicolle, professeur au lycée privé du Sacré-Cœur à Reims privé, est plus incisif. “Sur mon paquet de 105 copies, ce que j’observe, ce sont quelques copies très faibles, d’une simple introduction. Dans ce cas, on note seulement sur 4 points. Peut-être qu’il s’agit d’élèves qui ont craint la copie blanche, même si un 0 n’était pas éliminatoire”, souligne-t-il. “Certaines copies sont rédigées, construites et sérieuses, dans le sens où les candidats ont pris la peine de rédiger... Mais en même temps elles sont souvent médiocres”, regrette-t-il.

Pendant l’épreuve, en salle d’examen, le constat n’était pas plus réjouissant. “Un quart est parti au bout d’un quart d’heure, les deux autres tiers une demi-heure plus tard”, relève Élodie Pinel, professeure de français et de philosophie au lycée. Même si elle n’a pas corrigé de copies de philosophie cette année, elle a jeté un œil à celles qui ont été déposées devant ses yeux. Verdict: “Ils ne se sont pas foulés”. 

Pour elle, ce comportement s’explique en partie par le fait que la plupart des élèves savaient déjà qu’ils étaient bacheliers, et pour certains qu’ils avaient obtenu un vœu sans condition sur Parcoursup. Mais aussi parce qu’ils ont pour certains “lâché très vite l’affaire cette année, ils se sont désinvestis avec les fermetures d’écoles, ils ont perdu confiance dans le dispositif”.

Laurent Nicolle rejoint cet avis: “Avec les cours en distanciel, certains établissements n’ont pas bouclé le programme, il est difficile de savoir si les élèves ont eu cours sur telle ou telle notion”. Autre biais selon lui: la possibilité que les notes du contrôle continu aient été plus élevées que d’habitude. Dans ce cas, pourquoi vouloir rendre une copie dont la note sera très certainement inférieure?

“Banalité sur banalité”

“Quand on a déjà une bonne moyenne, difficile de prendre l’épreuve au sérieux”, abonde Justine, professeure de philosophie dans l’Académie de Grenoble. “Même mes bons élèves sont partis au bout de deux heures, pour eux l’épreuve n’avait pas de sens”, déplore-t-elle, contactée par Le HuffPost

Si elle n’a pas corrigé de copies de philo cette année - en grève contre le nouveau logiciel de correction dématérialisée - ses collègues lui ont fait part de copies “où l’on sent que l’élève est parti en plein milieu, il commence un propos et s’arrête avant la fin”. En jetant un œil aux copies, Élodie Pinel a pu constater des copies enchaînant “banalité sur banalité, avec des exemples de leur vie quotidienne, aucune citation de philosophe, un plan en deux parties; ‘oui’ et ‘non’...”

“Elles étaient très bavardes, mais sans aucun contenu. J’ai senti que le plan avait été vaguement esquissé, mais que l’étape du brouillon avait été sautée. Beaucoup de candidats ont écrit au fil de la plume, fait des hors sujets (...) Elles contenaient peu de références philosophiques, et les candidats se sont beaucoup reposés sur des idées toutes faites”, fait également remarquer Nicolas Franck, président de l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public, interviewé par 20 Minutes. L’un de ses collègues aurait même reçu “une copie rédigée en morse, l’autre en basque”.

Heureusement, certaines copies sont sorties du lot. “C’est peut-être parce que je m’attendais à pire, mais j’ai eu quelques bonnes surprises. J’ai pu mettre de très bonnes notes. Cela concerne peut-être des élèves qui se sont lancé un challenge ou un défi personnel pour décrocher une mention”, avance Thomas, pour qui “il faut toujours s’investir et faire les choses jusqu’au bout”. 

“Travail ingrat”

Néanmoins, quelle que soit la qualité des copies, le travail de correction s’est avéré fastidieux et peu flatteur pour les professeurs de philosophie. “J’ai décidé de valoriser la démarche intellectuelle, mais elle n’était pas évidente dans beaucoup de copies. Du coup, mon travail de correction était triste, sans aucun intérêt”, souligne Nicolas Franck. 

“Le travail de correction du bac est toujours ingrat, mais là, il était vraiment particulièrement ingrat”, lance Laurent Nicolle. “Je le pensais déjà avant de corriger et je le pense encore plus maintenant: il ne fallait pas organiser cette session terminale, encore moins après avoir dit que ce serait la meilleure des deux notes qui allait compter”, indique-t-il. “Tout le monde perd son temps, les élèves comme les professeurs”, abonde Justine.

Pour Élodie Pinel, qui pourtant n’a pas corrigé de copies, c’est un “crève-cœur”. “Je suis déçue quand même, on s’est surinvesti, j’ai donné des cours particuliers de philosophie. On a l’impression que notre travail est saboté. Les élèves ne se rendent pas compte qu’on travaille pour eux et que même si la philosophie n’est pas tout de suite rentable, c’est une formation intellectuelle”, explique cette agrégée de lettres et certifiée de philosophie.

Avec le contrôle continu, elle craint que les enseignants ne deviennent des “pourvoyeurs de bonnes notes”. Et d’ajouter: “L’effort n’a plus de sens. On va avoir du mal à gérer la suite, car on devient des animateurs culturels qui donnent de bonnes notes.”

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