Toute ma vie, j’ai gardé le secret sur mes troubles alimentaires. Voici pourquoi j’en parle aujourd’hui - BLOG

Très jeune, je suis devenue obsédée par mon poids. Dès la maternelle, et même avant, je me souviens d’avoir été persuadée que j’étais plus grosse que toutes mes amies. Une fois, en primaire, mon prof d’EPS m’a touché la taille en plaisantant sur mes “poignées d’amour” et c’est devenu ma hantise. Mon identité était étroitement liée à ma faim. Ma détestation de moi-même et mon désir d’être mince comme mes amies venaient s’ajouter à mon envie de manger jusqu’à ne plus ressentir qu’un trop-plein, une nausée, et avoir l’impression de ne plus être dans mon corps. 

SANTÉ - NB: Ce texte décrit des symptômes et effets de troubles du comportement alimentaire, susceptibles de déclencher des troubles chez certains lecteurs. 

C’est à 6 ou 7 ans que j’ai commencé à manger de façon compulsive. C’était un samedi matin et j’ai emmené en douce un paquet de cookies non entamé dans ma chambre. Je l’ai mangé en entier pendant que mes parents dormaient dans la pièce à côté.

Je ne me rappelle pas m’être sentie bouleversée ou inquiète sur le moment, mais après coup, j’ai aplati le paquet vide et l’ai caché sous mon lit, derrière une couette pliée. Je me suis tordue de douleur en essayant de toutes mes forces de ne pas vomir. J’ai pleuré, la tête enfouie dans mon oreiller, pendant ce qui m’a semblé des heures, en me demandant pourquoi j’avais fait ça et ce que diraient mes parents si jamais ils l’apprenaient. 

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Après ça, manger de façon compulsive est devenu une habitude. Je repoussais chaque fois plus loin les limites de ma satiété. 

Enfant, je n’étais pas en surpoids, mais je n’étais pas mince non plus, et j’en avais bien conscience. Je n’avais pas vraiment de bon modèle à suivre en matière de comportement alimentaire, bien que je n’aie jamais vu personne trop manger de cette façon ni réagir à un événement stressant en mangeant. La plupart des gens en surpoids ou obèses que je connaissais et que j’aimais rencontraient beaucoup de succès dans leur carrière professionnelle, mangeaient avec plaisir et appréciaient les larges tablées familiales. Même lorsqu’ils se mettaient au régime – et reprenaient généralement les kilos perdus par la suite – je n’avais jamais vu ni appris quoi que ce soit sur la compulsion alimentaire. Il était clair que quelque chose était différent chez moi, même quand je faisais du sport et m’efforçais de garder la ligne: j’avais constamment envie de manger davantage. Même quand je souffrais de maux d’estomac à force de trop manger, après un dîner ultra copieux, j’avais encore des fringales en pleine nuit. J’en voulais toujours plus. 

Il fallait garder le secret

Je pensais que personne ne pouvait me comprendre; je me sentais horrible et dégoûtante à cause de manger comme ça. Il fallait que je garde le secret. 

Très jeune, je suis devenue obsédée par mon poids. Dès la maternelle, et même avant, je me souviens d’avoir été persuadée que j’étais plus grosse que toutes mes amies. Une fois, en primaire, mon prof d’EPS m’a touché la taille en plaisantant sur mes “poignées d’amour” et c’est devenu ma hantise. Mon identité était étroitement liée à ma faim. Ma détestation de moi-même et mon désir d’être mince comme mes amies venaient s’ajouter à mon envie de manger jusqu’à ne plus ressentir qu’un trop-plein, une nausée, et avoir l’impression de ne plus être dans mon corps. 

Enfant et adolescente, j’ai consulté des thérapeutes pour des problèmes indépendants de mon trouble alimentaire. Quand je leur ai confié me sentir laide et en surpoids, ils m’ont tous les deux assurés que ce n’était pas le cas, rappelé que j’avais des amis, que j’étais populaire. Plus tard, un psychiatre m’a même dit: “Il y a plein de garçons qui veulent sortir avec toi. Tu es une très jolie fille!”

Même si cette affirmation était clairement problématique en soi, je m’y suis accrochée à l’époque. Pourtant, cela n’a eu aucun effet sur ma compulsion alimentaire. Alors, je me suis mise aux sports d’équipe, comme la natation et l’athlétisme, qui m’ont permis de garder un poids “normal”, à défaut d’être mince. 

Plusieurs fois, j’ai essayé de me purger, me forcer à vomir après avoir avalé une miche entière de pain ou cinq barres chocolatées, mais je n’y arrivais pas. Ça ne marchait jamais, et cela renforçait mon sentiment d’échec. Qui mange comme ça sans au moins se faire vomir après? Mon estime de moi-même a encore baissé. J’admirais les filles boulimiques de mon lycée. Elles étaient minces. Elles pouvaient manger autant qu’elles voulaient. Pourquoi n’étais-je pas comme elles? 

À la fac, mon poids s’est mis à fluctuer de façon de plus en plus extrême. Le sport ne suffisait plus à le maintenir stable. Je prenais cinq à sept kilos et les perdais en l’espace de quelques mois. J’arrêtais parfois de manger de façon compulsive, puis je me réfugiais à nouveau dans de douloureux excès ou, au contraire, dans des privations de nourriture à chaque coup dur. 

Compenser la solitude par la nourriture

Après une rupture difficile, par exemple, j’ai arrêté de manger pendant des semaines. J’ai développé trois ulcères et une diarrhée chronique qui m’ont valu une autorisation d’absence pour raisons médicales pendant un semestre. Tout le monde m’a complimenté sur mon apparence pendant que je chargeais ma voiture pour rentrer chez mes parents. Quand je suis retournée à la fac l’année suivante, tous mes amis avaient obtenu leur diplôme et étaient partis vivre leur vie. J’ai pris 14 kilos en trois mois en tentant de compenser ma solitude par la nourriture. 

Après ça, j’ai recommencé de plus belle à faire le yoyo. Je prenais et reperdais constamment 15 à 20 kilos en un ou deux ans. Je cachais mes excès compulsifs de nourriture à mes partenaires et mes amis, et j’ai fini par épouser un homme en excellente forme physique qui a très vite été contrarié par ma prise de poids. 

“Ce n’est pas si compliqué. Tu dois juste être attentive à ce que tu manges”, insistait-il. Une leçon qu’il avait apprise de sa mère thérapeute, elle-même dans une forme olympique.  

“Ce n’est pas aussi simple”, lui répondais-je, sans jamais lui avouer la vérité. Et, très honnêtement, je ne savais pas vraiment ce qui se passait. Je n’avais jamais entendu l’expression “compulsion alimentaire” sans qu’elle soit associée à la boulimie. Je croyais qu’on mangeait à l’excès avant de se purger, ou bien qu’on prenait du poids par manque de maîtrise de soi. 

Comme je grossissais, je me détestais. 

Je ne pensais pas à chercher l’origine de mon comportement, à me demander pourquoi je me faisais ainsi du mal. Je ne comprenais pas que cette injonction à “être attentive”, et cette mentalité pleine de jugement que mon mari et tant d’autres véhiculaient ne faisait que me nuire. Je n’avais pas conscience de la violence et du pouvoir destructeur de la honte.

Je ne pensais pas à chercher l’origine de mon comportement, à me demander pourquoi je me faisais ainsi du mal.

Après la naissance de notre deuxième fille, j’ai pris plus de poids que jamais. J’étais devenue obèse, et j’avais des crises de compulsion alimentaire plusieurs fois par semaine: je me sentais isolée et déprimée, seule à la maison avec deux jeunes enfants. J’ai rejoint le programme Weight Watchers, en espérant que cela me donnerait un bon coup de pied aux fesses.

J’ai perdu les kilos que j’avais pris. Tout le monde a été épaté. Ils ont tous pensé que j’étais une nouvelle femme. 

Mais j’ai continué à manger de façon compulsive, sauf que, cette fois, je dévorais des bottes de carottes et des barquettes de cerises ou de fraises. J’avalais 20 bâtonnets de céleri de suite. Je me goinfrais de ces aliments “sains” en secret, en mangeant toujours le plus vite possible, et en le cachant à ma famille, surtout à mes enfants. 

J’ai eu un autre bébé, sans prendre beaucoup de poids, et je me suis mise à la course à pied. Je m’entraînais pour les marathons et j’ai recommencé à grossir. Comme je ne pouvais pas concentrer mon obsession alimentaire sur les légumes quand j’avais besoin d’énergie pour les longues courses d’endurance, je me suis remise à manger du riz et du pain. Je m’autorisais des “écarts” les jours de course. 

À mesure que ma condition physique s’améliorait et que je devenais plus solide, je prenais aussi du poids. De plus en plus. 

Quand mon aîné a eu de graves problèmes de santé, à l’âge de 8 ans, ma panique m’a fait perdre tout contrôle sur mon alimentation. À partir de là, avec cette nécessité de lui prodiguer constamment des soins, ma peur et mon anxiété ont repris le pouvoir sur moi. Je n’arrêtais pas de manger, avec des crises compulsives quasi quotidiennes. 

La thérapie

J’ai vu le danger que je courais et suis allée voir un thérapeute qui, une fois de plus, m’a parlé de la nécessité d’être attentive à ce que je mangeais et m’a demandé de tout noter dans un journal. La honte d’avoir à écrire ce que je faisais m’a empêchée de céder à ma compulsion alimentaire pendant quelques semaines et puis, une nuit, j’ai craqué. Sans autres outils pour gérer les émotions intenses que je ressentais, j’ai mangé tout une boîte de crackers et un sachet entier de bonbons d’Halloween. J’ai envoyé un mail à mon thérapeute pour annuler mon prochain rendez-vous et je ne suis jamais retournée le voir.  

Ce schéma s’est répété jusqu’à cette année, quand j’ai fini par dire à mon mari ce qui se passait. Ça lui a fait un choc: il ne se doutait pas de la gravité de mon trouble alimentaire. Au fil des années, il avait abandonné ses idées préconçues sur le poids et les régimes. Les épreuves difficiles traversées par notre famille avaient tissé entre nous des liens forts, et il s’était remis en question. 

Je savais qu’il m’acceptait et m’aimait comme j’étais. Mais même cette acceptation ne m’avait pas persuadée de partager avec lui ce que je vivais. La honte était si profondément ancrée en moi que je n’en parlais jamais à personne. 

Ce qui m’a en partie aidée à franchir cette barrière, c’est de voir une amie alcoolique faire ses premiers pas vers la sobriété. L’addiction à la nourriture, comme à l’alcool ou à la drogue, allie chimie du cerveau et schémas comportementaux. En parlant avec elle, en l’écoutant m’expliquer son sentiment d’impuissance et de culpabilité, en l’entendant décrire les ressentis que j’éprouvais moi-même depuis si longtemps, j’ai enfin compris que je n’étais pas une aberration, ni une fainéante qui n’avait qu’à se contrôler. Comme tant d’autres, j’étais une personne qui souffrait d’anxiété et de manque d’estime. Comme tant d’autres, j’avais développé des mécanismes d’adaptation désastreux pour tenter d’y faire face. Nous sommes tous humains, et bien souvent, cela fait partie du jeu: il faut comprendre ce qui nous arrive, apprendre, échouer de façon spectaculaire, mais réessayer.

Prendre conscience et se pardonner

Cette prise de conscience a été le premier pas pour moi. Le suivant a été de me pardonner. 

Cela fait des mois que j’ai acquis cette nouvelle perspective sur moi-même et sur la vie, mais je n’ai pas arrêté de manger de façon compulsive. Je le fais cependant beaucoup moins souvent et, quand cela m’arrive, je le dis à mon mari, j’écris, j’en parle à mes amis et ma famille. Je l’assume, j’y pense sans honte, je me pardonne et je passe à autre chose. 

J’essaie d’adopter de nouveaux mécanismes d’adaptation pour m’empêcher d’utiliser la nourriture comme source de réconfort ou annihiler mes émotions. Je vais me promener avec mon mari, je lis un livre, je regarde une émission de téléréalité débile, ou je joue à Minecraft avec mon fils. Parfois, l’une de ces tactiques fonctionne! Quand ça ne marche pas, je m’oblige à hausser les épaules et à accepter un câlin des gens de j’aime.

Le plus grand changement de tous, c’est qu’après plus de quarante ans de vie, je vois enfin mon corps sous un autre jour. Le problème, ce n’est pas mon poids; ça ne l’a jamais été. Mon corps est un cadeau, quelles que soient ses mensurations. Mais en me débattant avec mon anxiété et ma dépression, j’en avais fait une cible, au lieu d’examiner de plus près ce que je traversais. 

Aujourd’hui, en tant qu’adulte, j’en suis capable. Les techniques de thérapie comportementale que j’ai apprises pour aider mon enfant m’ont aussi changé la vie. Je m’en sers tous les jours, qu’il s’agisse d’adopter de nouveaux réflexes quand je panique ou de m’autoriser à manger des frites, parce que c’est délicieux et que j’ai le droit d’apprécier la nourriture! Manger n’a pas à être une punition ni une honte. 

“Pourquoi écrire ça?” me demande mon mari alors que je discute avec lui de ce texte, en lui confiant mes inquiétudes au sujet des réactions potentielles des trolls qui aiment s’en prendre aux femmes sur internet en se cachant derrière des comptes anonymes. 

J’essaie de lui expliquer combien il est important pour les gens de voir des expériences similaires à la leur, surtout celles qui sont habituellement taboues, en particulier en matière de poids. Le sujet est souvent abordé sous l’angle des “inquiétudes pour la santé” des personnes concernées mais sert fréquemment de prétexte pour humilier ou harceler les gens, dans les médias, chez le médecin ou au sein même de leur foyer. 

Je ne “guérirai” peut-être jamais de mon trouble alimentaire compulsif. Mais je ne suis pas seule pour y faire face, et je vais continuer à évoluer et progresser en tant que personne, heureuse du corps que j’habite. 

Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord

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