Il y a-t-il un paradoxe à dénoncer la mollesse des réseaux sociaux dans la traque à la désinformation et, parallèlement, à s’ériger devant la “censure” de certains comptes ou de publications? À mon sens, aucun. Car, dans les deux cas, on passe à côté du problème principal: il manque une pièce essentielle au puzzle de la régulation des plateformes.
Faut-il interdire d’interdire?
Aux États-Unis, il existe désormais une loi qui interdit aux réseaux sociaux la censure des comptes ou des contenus. La “Stop Social Media Censorship Act” a été promulguée la dernière semaine du mois de mai par le gouverneur de Floride. La question de sa constitutionnalité, et son caractère applicable, laissent les professionnels du droit américain plus que dubitatifs.
Cependant, au moment où j’écris ces lignes, ni Twitter, ni Facebook ou YouTube n’ont indiqué s’ils prévoyaient de se conformer à cette loi inédite, ou s’ils envisageaient de la contester devant les tribunaux.
Muscler la modération?
Dans le camp des “pro-régulation”, on avance aussi ses pions.
La France, par exemple, vient d’annoncer la création d’une agence nationale de surveillance des réseaux pour lutter contre les manipulations de l’information en provenance de l’étranger.
Les plateformes, elles-mêmes, cherchent leur voie… Facebook s’est retourné vers son Conseil de surveillance pour statuer sur la suspension du compte de l’ancien président américain Donald Trump. La réponse a été un étonnant “retour à l’envoyeur”: oui pour maintenir la sanction, mais Facebook devrait “réexaminer la décision arbitraire imposée le 7 janvier” dans les six prochains mois…
Laisser faire?
On peut estimer que les plateformes sont bien en droit de faire ce qu’elles veulent: restreindre l’accès ou la disponibilité de contenus. Qu’elles ne sont qu’un outil de diffusion, sans autre forme de responsabilité, et qu’aucune modération, aussi rigide soit-elle, ne pourra empêcher les drames qui se nouent dans la société.
Mais on peut aussi penser que la puissance des réseaux sociaux et leur omniprésence dans notre quotidien représente une capacité d’influence et un pouvoir menaçant pour nos libertés.
Nous donner le pouvoir
Alors il reste une piste qui à mon sens n’a pas été explorée: donner le plein contrôle de la régulation aux utilisateurs eux-mêmes. Je veux dire, vraiment. Car il faut bien avoir conscience que jusqu’ici les dés ont toujours été pipés.
L’auto-régulation par les internautes ne peut pas fonctionner dans les conditions actuelles.
On laisse à penser, par des outils de paramétrages, que nous avons la main, que nous choisissons nos amis aussi bien que nos publicités, que l’on contrôle nos fils de lecture. Or ce n’est pas la réalité.
Dans les faits, les algorithmes ont été programmés pour répondre à des motivations commerciales, reposant sur l’économie de l’attention et la stratégie d’influence. Toutes les clauses, les conditions d’utilisation, les popup d’opt-in… sont sans effet face cette puissante machine à cash. Lorsque l’on accepte l’idée de cette contrepartie publicitaire, on ne mesure pas à quel point on cède nos droits à la liberté de choix, de contrôle… et donc de régulation.
Les prochains géants
Derrière le modèle de la “vente de données” et du “ciblage publicitaire”, c’est le modèle de l’influence, de l’abêtissement qu’il faut casser.
Pour sortir de ce cercle infernal ou toute tentative de modération semble vaine, il faudrait d’abord réguler les pratiques commerciales qui ont cours sur les plateformes médias. Imposer une utilisation des algorithmes au service de l’amélioration de notre expérience utilisateur, et non de la surconsommation.
Il existe déjà des modèles de modération collective, comme Wikipedia. Et je veux croire que les prochains géants seront ceux qui ont déjà pensé à ces autres médias sociaux possibles. Là où l’utilisateur aura toute sa place. Et où l’on pourra réellement expérimenter la régulation des internautes par les internautes. Dans le respect de la loi.
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