"La Casa de Papel" analysée par un vrai négociateur du RAID

SÉRIE - Si vous avez binge-watché“La Casa de Papel”, vous vous êtes certainement demandé à quel point les scènes de négociations, entre les forces de l’ordre et les braqueurs étaient réalistes. LeHuffPost a demandé à un négociateur du RAID (Recherche, assistance, intervention et dissuasion) de décrypter la série, alors que la première partie de la saison 5 est disponible sur Netflix depuis ce vendredi 3 septembre.

La série qui a connu un succès mondial s’articule autour d’un bras de fer permanent entre les braqueurs de la Fabrique de la monnaie (et de la Banque d’Espagne) dirigés par l’ingénieux “Professeur” (Sergio Marquina). Face à eux, les forces de l’ordre, qui tentent de trouver une solution pacifique à cette crise, sous les yeux des télévisions du monde entier. Mais utilisent-ils les techniques des pros? Celles des agents du RAID par exemple, l’unité d’élite de la police nationale?

Depuis 1985, ce groupement est amené à gérer des situations de crises à très hauts risques en France, comme lors de l’attentat de Charlie Hebdo ou la prise d’otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015. Sébastien, négociateur du RAID, a vu la série et note d’importantes incohérences comme vous pouvez le constater dans la vidéo à découvrir en tête d’article.

Mensonges et agressivité permanente

“Dans une prise d’otage comme celle de la Fabrique de la monnaie, la priorité c’est de préserver l’intégrité physique des otages”, analyse-t-il. “Dans la série il y a une confrontation systématique entre les négociateurs et le ‘Professeur’. Ce jeu d’échecs permanent se fait au détriment des otages. Or, on sait très bien que si on a des paroles ou des actes de provocation (comme ceux d’Alicia Sierra), cela peut se répercuter directement sur eux.” 

Dans la série, l’inspectrice Murillo n’hésite pas à mentir à Rio (Aníbal Cortés), lui promettant une grâce présidentielle si ce dernier venait à se rendre. Pour Sébastien, une telle scène ne pourrait pas arriver dans la réalité. “Le négociateur ne ment jamais et ne promet jamais des choses qu’il ne pourra pas tenir. Je me souviens d’une opération durant laquelle une personne avait pris en otage son ex-compagne et avait tiré sur les policiers. La première chose qu’il m’a demandée durant la négociation c’était de lui assurer qu’il n’irait pas en prison. Je lui ai dit très sincèrement que je ne pouvais pas lui promettre cela. Dire la vérité c’est un gage de confiance.”

L’impossible tactique du “Professeur”?

Dans la série, le GEO (Grupo Especial de Operacionesgeo) est chargé de mener les opérations. Mais cette unité d’élite de la police espagnole, spécialisée dans l’antiterrorisme et la prise d’otages a toutes les difficultés du monde à contrer le “Professeur”. Celui-ci semble systématiquement anticiper le comportement du négociateur et plus globalement des forces de l’ordre. Là encore, un scénario impossible pour notre professionnel. 

“C’est tout ce qui fait le sel de la série... mais ça ne peut pas exister. Nous nous entraînons à longueur d’année avec toutes les semaines des scénarios différents. On se rend compte d’une chose: rien ne se passe jamais comme prévu, aussi bien pour les négociateurs que pour les forcenés. On prévoit des plans, mais notre force c’est notre capacité à s’adapter en permanence. Vous ne pouvez pas anticiper des comportements humains.” 

Le rôle clé du psychologue dans les “négos”

S’il reconnaît que la série est “forcément très exagérée”, Sébastien note toutefois des points très pertinents qui permettent de mieux comprendre le rôle du négociateur sur ce type d’intervention à risques. “La série explique bien la structure d’un poste de commandement de négociation. On se retrouve seul à négocier, mais nous sommes assistés d’un second négociateur qui nous surveille ainsi que d’une psychologue.”

Cette dernière apparaît à l’écran dès la première saison dans “La Casa de Papel”. Elle analyse le profil ainsi que les propos du “Professeur” lors des premiers contacts avec l’inspectrice Murillo. Une aide précieuse qui lui permet de mieux comprendre l’état d’esprit de son interlocuteur.

Le second négociateur, quant à lui, veille à ce que le titulaire ne s’implique pas trop. Le danger étant que ses émotions prennent le dessus, au risque de prendre fait et cause pour le forcené... comme Raquel Murillo finira d’ailleurs par le faire en rejoignant le camp du “Professeur”. “Cela peut arriver qu’un négociateur soit tellement imprégné qu’il finisse par perdre son objectivité. On peut presque arriver à défendre la cause du preneur d’otages et s’assimiler à son mal-être. Il faut toujours savoir prendre du recul, car c’est très intense.”

Raquel Murillo, négociatrice “la plus crédible”

Pour Sébastien, Raquel Murillo est la négociatrice “la plus crédible” de la série. Il pointe du doigt son “approche très empathique” et sa recherche de compromis, bien que son rôle reste globalement très romancé. Le négociateur du RAID est en revanche nettement plus critique avec sa remplaçante, Alicia Sierra qui fait preuve de beaucoup d’agressivité en menaçant directement des membres de la famille des braqueurs, “une stratégie contre-productive”.

S’il avait été à leurs places, voilà comment Sébastien aurait travaillé pour obtenir la reddition des braqueurs: “Je pense qu’il aurait fallu ne garder qu’un seul négociateur pendant toute la prise d’otages pour conserver un petit rapport de force avec ‘Le Professeur’. Car changer en cours de route, ce serait un acte de faiblesse. Ensuite, il aurait fallu développer le travail entre la négociation et le groupe tactique sur le terrain,” explique-t-il, tout en soulignant que ce point est trop peu abordé dans la série. 

“Le rôle de la négociation n’aurait sans doute pas été déterminant dans cette situation. Quand vous avez quadrillé le secteur, il y a beaucoup de choses à faire en corrélation avec le groupe d’assaut pour trouver la solution qui va mettre un terme à la crise.”  

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