
SANTÉ MENTALE - On a chacun nos petites croix sur un calendrier qui marquent les jours un peu spéciaux de nos vies. Le 8 octobre fait partie de mes petites croix. Ce jour-là en 2019, je terminais ma chimiothérapie, deuxième étape de mon traitement contre un cancer du sein diagnostiqué quelques mois auparavant, alors que j’avais tout juste 30 ans.
De toutes les thérapies dont j’ai pu bénéficier après mon opération - chimio, radio, hormono etc. - il y en a une que j’ai pris moi-même l’initiative de suivre: une psychothérapie.
Une des premières choses que j’ai faites lorsque j’ai appris que j’étais malade a en effet été de rappeler ma psy, dès le lendemain du diagnostic. Je l’avais consultée une première fois après le décès de ma mère, emportée par un cancer du sein, déjà lui. Je n’ai jamais fait partie de ceux qui considèrent que “les psys, c’est pour les fous”. Mais je n’avais jamais estimé nécessaire de recourir au divan pour traiter les mal-être que toute personne peut éprouver dans sa vie. J’étais assez forte, me disais-je, pour régler ça toute seule.
La fin de vie de ma mère et son absence lors de mon mariage qui approchait ont fait voler en éclat ma fierté. J’avais trop mal, je voulais que mon union soit un jour heureux, alors j’ai fini par décrocher mon téléphone.
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Bien dans mon corps, bien dans ma tête
Je ne pensais pas que la vie me reconduirait si rapidement à solliciter ma psy, mais j’ai respecté la promesse que je m’étais faite à l’issue de mon premier cycle de séances: avoir recours à un professionnel de la santé mentale lorsque j’en éprouverais le besoin. Affronter ses douleurs et ses peurs peut être éprouvant, mais j’ai appris que ça l’était moins que de laisser mijoterses souffrances intimes. Après le cancer du sein de ma mère, il y avait le mien, je n’envisageais pas de ne pas me faire aider sur le plan psychologique.
Cette année 2021 signe pour moi une étape forte et symbolique: le cap des deux ans sans récidive. Il est encore trop tôt pour parler de guérison, mais plus le temps passe et plus les risques de rechute s’estompent. Chaque petite croix du calendrier est une fête et les traitements se résument désormais à un cachet quotidien d’hormonothérapie dont j’ai la chance de ne subir aucun des effets secondaires possibles.
J’ai cette chance: je suis en vie et je vais bien, dans mon corps - ce qui n’est pas anecdotique dans le cadre d’un cancer du sein - et dans ma tête, au point que j’ai mis récemment un terme à mes rendez-vous hebdomadaires dans ce cabinet refuge. Beaucoup de larmes y ont coulé, mais surtout beaucoup de victoires y ont été bâties. Avec le recul, je ne sais pas comment j’aurais réussi à tenir le choc sans cette aide. Le cancer est une déflagration dévastatrice - aux conséquences évidentes auxquelles s’ajoutent les ondes de choc qu’on n’anticipe pas - pour ceux qu’il atteint et leurs proches. Ces proches dont la présence est si précieuse, mais qui ne peuvent et ne doivent pas être le seul soutien psychologique des patients. Avant d’être malade, j’ai été aidante, je suis bien placée pour savoir qu’il y a des choses qu’on ne peut pas résoudre en tant qu’entourage.
Prendre la parole sur des sujets tabous
Depuis plusieurs mois, je m’interroge sur comment aider à mon tour. Je crois que prendre la parole publiquement sur des sujets aussi intimes est une première étape. Car, au-delà de la pudeur, cela n’a rien d’évident. Le cancer est à mes yeux toujours un tabou social aujourd’hui, encore plus lorsqu’on est touché jeune. Dire “j’ai un cancer”, c’est voir passer la notion de mort dans le regard de votre interlocuteur. Et on ne parle pas de ce qui fait peur. Le malaise que suscite cette maladie - qui recouvre en plus des réalités diverses au sens où il n’y a pas un, mais des cancers - la rend de fait opaque.
La recherche a permis des avancées considérables concernant le cancer du sein et ses chances de survie et il faut continuer de la soutenir. Tout comme il faut continuer de soutenir l’hôpital public français - en termes de moyens humains et financiers - dont la vocation est la prise en charge de tous. Cela doit être une fierté de la République dans laquelle cette dernière doit mettre les moyens. J’ai une pensée particulière pour tout le personnel de l’Institut Gustave Roussy où j’ai pu bénéficier de ce qui se fait de mieux dans le domaine sans que cela ne me coûte grand-chose. Mais la prise en charge des patients ne peut se résumer aux seuls traitements anti-cancer.
De nombreux progrès ont été également faits sur ce qu’on appelle les soins supports qui aident à gérer les conséquences de la maladie. Néanmoins, c’est encore insuffisant. Si je n’avais pas eu les ressources personnelles pour solliciter une aide psychologique professionnelle, je ne suis pas sûre que le parcours de soin tel qu’il est pensé aujourd’hui m’y aurait conduit. Les associations - comme Rose Up et ses Maisons roses - font un travail formidable et nécessaire, mais ça ne saurait être que le rôle des associations. On en revient à cette question des moyens et donc des orientations de politiques publiques.
L’après-cancer, un chantier à part entière
D’autant que l’accompagnement des femmes touchées par un cancer du sein, et plus largement des personnes atteintes de cancer, ne peut se limiter au temps du traitement. L’après-cancer est un sujet et un chantier à part entière insuffisamment investi aujourd’hui. Comment retourner dans une vie mise entre parenthèses sans savoir si on allait avoir la chance de pouvoir y retourner un jour et dans quel état?
Alors que le cancer n’est pas qu’une “maladie de vieux” - cliché qui, au passage, en dit long sur la façon dont on considère nos aînés - la question du retour à l’emploi n’est que peu adressée. Ma hiérarchie, mon entreprise, mes équipes et collègues bienveillants, qu’ils en soient sincèrement remerciés, ont fait en sorte que mon retour au travail soit le plus serein possible et c’est parce que j’ai en plus été suivie par ma psy que les zones de turbulences ont été limitées. C’est loin d’être la norme, preuve en sont les nombreux témoignages de retours désastreux au travail qui engendrent de la souffrance dans un parcours qui en est déjà suffisamment pourvu. Ce n’est qu’un exemple parmi tant de sujets concernant cette période de reconstruction.
Parler de santé mentale, enfin, est un autre tabou français. Les choses changent, évoluent doucement, mais évoluent quand même. Les récentes annonces, même imparfaites, à propos du remboursement des consultations psy sont à mon sens un signal positif. J’espère avec ce témoignage encourager ceux qui n’osent pas, qui ont honte, qui ont peur de sauter le pas à demander cette aide si salvatrice. Dans les statistiques du cancer, on qualifie ceux qui réchappent à la maladie de “survivants du cancer”. Grâce à la psychothérapie que j’ai suivie, je suis heureuse de pouvoir me considérer juste comme vivante. Et quand on mesure à quel point la vie est fragile et éphémère, c’est la sensation la plus délicieuse qui soit.
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