COVID - Être assistante sociale dans un service social d’un Crous en période de crise sanitaire et économique c’est être la porte d’entrée pour accueillir la précarité, la pauvreté, le mal-être et le désespoir des étudiants.
Pas de généralités, mais les exceptions deviennent rares… malheureusement.
Alors que le 1er confinement est annoncé le 16 mars et entre en vigueur le 17 mars 2020, déjà nous, travailleurs sociaux, avions senti une pression arriver.
Qu’allait-il advenir des étudiants qui ne pouvaient pas se confiner chez eux, au domicile familial? Ou ceux pour qui la situation familiale était compliquée?
Quelles solutions pour les étudiants non boursiers qui avaient comme seule ressource leur job étudiant perdu ou arrêté?
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Un métier passion, mais épuisant
De plus, comme dans beaucoup d’institutions, quasiment rien n’avait été anticipé. Manque de matériel (PC, téléphones…) et manque de communication étaient eux bien au rendez-vous. De ce fait il a fallu nous adapter.
L’adaptation fait partie du métier d’assistant de service social. Nous avons su adopter de nouvelles méthodes de travail notamment pour garder le lien avec les étudiants, augmenter les aides spécifiques ponctuelles, travailler encore plus en partenariat.
Maintenant, je vais parler en mon nom, même si je sais que beaucoup de collègues souffrent comme moi de cette situation qui dure maintenant depuis 11 mois.
Cela fait 5 ans que je travaille dans un service social d’un Crous. Ce métier je le fais par conviction et avec motivation. Mais aujourd’hui, je suis épuisée. Je voudrais dénoncer deux choses: la situation actuelle des étudiants et les conditions de travail des assistants de services sociaux.
Comme beaucoup de Français, je ne pensais pas que cette crise sanitaire allait durer autant de temps et surtout avoir cet impact sur les étudiants. Une chose dont j’étais certaine était que la situation des étudiants en France n’a pas attendu la crise du Covid-19 pour être préoccupante.
La sonnette d’alarme, je l’ai tirée plus d’une fois. Tentatives de suicide dont je suis directement “témoin”, décompensations, situations sociales dégradées, étudiants isolés… toutes ces situations se sont accélérées avec la crise.
Quand le confinement a été rallongé, j’ai été soulagée de voir que le gouvernement et le CNOUS proposaient des moyens d’action pour les Crous qui souhaitaient s’en saisir: dossier d’aide spécifique simplifié, examens des demandes moins longs, mise en place d’aide alimentaire…
Cependant, cela restait trop peu et des incohérences persistaient.
Le gouvernement a décidé d’aider en priorité les étudiants boursiers, sans tenir compte des autres étudiants.
Sur les loyers pour les logements des résidences Crous, aucune action. Tout étudiant y résidant encore devait et doit s’acquitter de son loyer. Mais l’étudiant ayant pu se rendre au domicile familial en était dispensé.
Vivre avec une bourse de 560 euros maximum en région Parisienne comme ailleurs relève du défi, mais alors en temps de pandémie, cela relève de l’impossible. Et encore “chanceux” ceux qui ont accès à cette bourse.
Cet été 2020, il y a eu un faible mieux. Moins de demandes, un sentiment de légèreté qui était revenu. L’espoir d’une rentrée 2020/2021 dans les conditions normales se faisait de nouveau sentir.
Les accompagnements psychosociaux ont pu reprendre. Mais pas pour bien longtemps.
Octobre 2020, le vent tourne à nouveau. Nouveau confinement, couvre-feu?
On ne sait pas bien. Ce qui est acté: le télétravail reste la norme pour nous. Les étudiants eux n’iront plus dans les universités et autres écoles. Le distanciel sera de nouveau le mode de vie à adopter.
Depuis avril 2020, en tant qu’assistante de service social dans un Crous, je suis atterrée de voir le manque de prise en considération des étudiants. Il faut un drame pour que les politiques mènent une campagne de communication bien huilée en se rendant sur un campus universitaire sélectionné, propre, pour y rencontrer des étudiants “cabossés”, mais pas trop, aidés, mais pas trop.
Des mesures, le gouvernement en a annoncées. Mais avec 10 mois de retard. Les repas à 1euro enfin accessibles à tous et non plus uniquement aux boursiers, l’augmentation du plafond de l’aide spécifique à 500 euros, les chèques psy.
Mais cela arrive trop tard.
En tant qu’assistante sociale, j’instruis et assiste aux commissions de demande d’aide financière spécifique ponctuelle. Ces dossiers souvent appelés aides d’urgence. Autant dire que le terme ponctuel n’a plus le sens d’unique et que l’urgence est devenue toute relative. Le nombre de dossiers a plus que doublé en moins d’un an.
Et nous, assistants sociaux, nous devons quand même tenir un discours sur l’aspect ponctuel de l’aide. Nous devons pousser à l’autonomie des personnes. Quelle autonomie trouver en ce moment? Pas de job étudiant, pas de stage, pas de RSA, pas de revalorisation du montant des bourses.
Alors j’agis avec mon aide ponctuelle et mon orientation vers les associations caritatives en tant que pansement, le temps d’un mois ou deux. Puis les 500 euros annoncés par le gouvernement sont atteints et la demande passe de nouveau en commission, est étudiée et le constat est le même: situation inchangée.
Exercer son métier la boule au ventre
Plus le temps pour l’accompagnement, la demande est trop forte.
L’annonce récente de la Ministre Madame Vidal, sur cette aide de 500 euros a créé un appel d’air supplémentaire créant la confusion dans les aides possibles.
Qui blâmer? L’étudiant de ne pas s’être mobilisé? Moi de ne pas avoir proposé d’autres pistes? Ou le gouvernement de ne pas avoir mesuré bien en amont les dommages qu’allaient subir les étudiants?
J’ai ma petite idée.
Aujourd’hui, j’exerce mon métier avec une boule au ventre. On nous demande des chiffres, d’augmenter nos nombres de rendez vous, d’apaiser pour ne pas qu’il y ait de vague.
Pourquoi nous laisser panser les plaies?
Le social est devenu un domaine de chiffres.
Les étudiants aujourd’hui veulent retrouver une vie sociale, un environnement où ils ne sont pas pointés du doigt et pouvoir vivre décemment.
Je suis lassée de voir un gouvernement répondre aux besoins seulement lorsque le pire est arrivé. Épuisée de voir que les assistants sociaux ne sont pas écoutés.
Aujourd’hui, je suis en mille morceaux car je suis une partie du miroir de la situation étudiante en France.
Être assistante de service social c’est ça, c’est accepter d’être le miroir pour faire remonter les problèmes rencontrés par la Société.
Mais aujourd’hui qui nous entend? Qui nous écoute?
C’est une assistante sociale d’un Crous épuisée que je suis aujourd’hui.
Épuisée, non pas par les étudiants mais bien par le gouvernement. Épuisée de faire un travail qui demande de plus en plus de prendre des responsabilités sans avoir de reconnaissance, épuisée de ne pas avoir un salaire décent, épuisée de voir l’énergie mise dans mon travail car en face j’ai des humains mais que ce qui est attendu derrière ce sont des chiffres, épuisée de voir une génération être sacrifiée...
Épuisée rien qu’à l’idée de penser à l’après-pandémie.
J’aime pourtant être optimiste et penser que le Gouvernement agira aussi bien envers les étudiants que notre coprs de métier dans les années à venir sans attendre un nouveau drame.
J’ose en tout cas être encore optimiste, certains diront utopiste, mais si je n’ai plus cela, plus rien ne me tient.
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