Trop tôt, trop tard, je refuse qu'on décide de ma vie en fonction de mon âge - BLOG

Cela me fout les jetons, une société où on décide pour moi, d’où je vais vivre, quand je vais sortir, de ma liberté de circuler, de mes droits, de mon droit inaliénable à décider pour moi-même. Et cela parce que je suis née en 1955, alors que je suis parfaitement saine de corps et d’esprit. Enfin, autant qu’eux et vous, ni plus ni moins!

VIEILLIR - Agaçante, la catégorisation! On me dit, à quelques jours de mes 66 ans, qu’un calendrier vaccinal va m’incorporer à la mi-avril comme un conscrit. Je le conçois pour la logique de l’organisation. Quoique cet étiquetage par l’âge m’insupporte depuis toujours.

Durant des années, j’ai été persuadée qu’il n’y avait pas une minute à perdre. Pourtant, il m’a fallu du temps, tant de temps pour simplement vivre ma vie. En même temps, sur le temps, on m’a dit tant de choses: que j’étais trop jeune, fort longtemps, qu’il fallait attendre mon tour. On m’a dit: c’est pour demain. C’est nul et idiot, l’âge ne saurait être un permis de vivre, ni à 18 ans ni à 100 ans. Le droit d’exister n’est pas fonction de l’âge.

D’ailleurs, un jour, on a commencé à me dire, c’est un peu tard

Vraiment? Pas si tard que cela, parce que vous voyez, je ne suis pas une moyenne nationale. Au mieux, une erreur statistique. Je ne donne à personne le droit de disposer de moi ou de décider pour moi. Notamment sur mes choix de vie et de mort!

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Il y a des millénaires de cela, vers 2010, un contemporain me susurrait ces mots doux “Et toi, la retraite, c’est pour bientôt?”. Je restais coite. De quoi parlait-on? D’un séminaire New Âge pour cadres? Non, insista-t-il, l’air navré, TA retraite: Ce moment que nous désirons tous, ce Graal, et où “On va enfin profiter”. Et de me détailler une existence paradisiaque consacrée au golf, au bridge et aux voyages –dans des contrées ensoleillées, mais attention bien pourvues question sanitaire-. J’étais simplement à des années-lumière de son meilleur des mondes.

Oui, travailler différemment m’interpellait, travailler aussi sur des sujets qui m’intéressent davantage que les seuls résultats commerciaux trimestriels de mon employeur ou la subtilité du web marketing. Mais cela ne justifiait pas d’une désertion sociale! Ni d’envisager une retraite, un “Game over” si vous préférez.

On remit le couvert quelque temps après: “Avec un démarrage de carrière à 20 ans, vous avez tous vos trimestres, vraiment envie de continuer à bosser? Et bon sang, j’avais quoi, 55 ans, une super forme, un esprit aiguisé, une masse de connaissances, et l’expérience, et la conscience en plus. Capable de tout faire, super bien! Aux abris, si vous le voulez, jeunes retraités éreintés, pas moi! Alors, jusqu’à quel âge, dites-vous qu’on peut s’accrocher? 70 ans. Parfait. Et après, je continuerai en indépendante. Pas de souci. Et je voyais mes collègues disparaître avalés dans leur statut d’à juste titre “retraités”. Certains avaient des velléités de conseil, mais du coup, plus la gnaque, pas les réseaux. Cela me faisait froid dans le dos, cette exclusion consentie. La retraite n’était pas pour moi.

En 2014, j’ai eu un problème de santé grave, qui a débouché sur une paraplégie, 9 mois d’hôpital, 3 ans de maladie longue durée. Handicapée, à expérimenter la dépendance, physique et sociale, l’étrange et complexe statut de malade, et le dévouement protecteur des soignants. Puis un retour progressif vers une vie civile. Mon employeur m’a très correctement contactée: Que voulais-je faire, revenir avec tous les aménagements possibles pour mon handicap, ou prendre cette retraite à laquelle j’avais droit? L’idée de m’incruster en entreprise, désormais loin du top de mes capacités, ne me plaisait guère. J’aime me savoir efficace et indépendante. J’ai choisi la retraite. Sans regret, librement, sereinement, alors, tourné la page. En 2017.o

Mais, surtout, décidé de faire un virage total, devenir écrivaine. On va dire que cela ne m’a pas trop mal réussi. Question lien social, j’ai même passé la surmultipliée, et j’ai pu, en respectant mon rythme de vie et mes contraintes de santé, retrouver une puissance de travail et de création, qui m’amène énormément de bonheur et, je l’espère, une vraie utilité sociale, par un alignement cœur, corps et esprit, avec moi et les autres. Jusque-là, tout va mieux, tout va bien.

Jusqu’au 17 mars 2020.

J’ai 65 ans. J’ai rejoint début mars, comme prévu de longue date, la Charente-Maritime, où je suis toujours en confinement, parce que je crois inconscient de prendre des risques de contagion et d’en faire prendre aux autres. Je respecte strictement le confinement, et je contribue virtuellement autant que je peux. Je sais ce que je fais, je suis attentive, vigilante et citoyenne.

Et puis est arrivé ce p… de débat: “nos aînés” 

Sympa, oui, je m’en fais pour ma tante de 95 ans que j’adore.

Ah non, m’a dit ma copine, c’est toi, c’est nous, au bas mot, 50 ans chez les hommes, 60 ans chez les femmes, ces aînés, mis de côté, quasi enfermés dans leur chambre comme les pensionnaires des EPADH. Je tombe du placard! Ceux qui me veulent tout ce “bien”, ne voient pas le problème: “vous n’allez pas prendre de risques”. Me savoir confinée, indéfiniment, cela les rassure presque! J’en balbutie que, depuis fort longtemps, je sais parfaitement gérer cela sans votre aide ou votre avis, merci! Et puis, cela dérape: “les vieux”, –ça y est, on ne parle plus des seniors, des quinquas, des aînés-, ”ça choppe tout, et après, cela va à l‘hôpital ou c’est contagieux”. Et l’hôpital, il est saturé, cela coûte cher, les soignants sont épuisés. Alors, vos gueules, les vieux!

Bon, je schématise un peu, mais quand même!

Cela me fout les jetons, une société où on décide pour moi, d’où je vais vivre, quand je vais sortir, de ma liberté de circuler, de mes droits, de mon droit inaliénable à décider pour moi-même. Et cela parce que je suis née en 1955, alors que je suis parfaitement saine de corps et d’esprit. Enfin, autant qu’eux et vous, ni plus ni moins!

Et franchement, si j’ai les jetons, vous devriez tous avoir aussi les jetons, parce que si cela commence par nous, par l’aliénation de notre liberté, ce n’est pas bon signe. Pas un bon signe pour toutes les minorités, avec des besoins d’aide, parfois spécifique, qu’on évaluera, budgétera, et ensuite on décidera pour eux. S’ils se soumettent aux normes. Pas à la Loi, mais à la règle du plus grand nombre. Pas un bon signe pour la démocratie, pas bon signe pour la liberté, pas bon signe pour la fraternité, pas bon signe pour l’égalité!

Oui, je le sais: vous ne nous voulez que du bien. Mais respectez avant tout notre droit à l’autodétermination, notre droit de vivre et de mourir comme nous l’entendons, où nous l’entendons.

L’importance de l’humain et de ses droits, de son premier à son dernier jour

Soyons clairs, n’espérez jamais me ranger proprement dans un coin, isolée dans votre EHPAD! N’espérez jamais que je reste branchée à crever, parce que votre protocole le permet et m’y oblige. N’espérez pas non plus me débrancher, parce que vous estimeriez que j’ai fait mon temps et que ma vie ne vaut plus d’être vécue. Je garde mon droit de décider! Vieille ou pas, handicapée ou pas, je suis libre! J’entends le demeurer.

Nous devons demeurer vigilants et profiter de cette crise, et de cette montée d’inquiétude, pour faire avancer et ré ancrer la place et l’importance de l’humain et de ses droits, de son premier à son dernier jour. C’est une crise humaine, existentielle: l’opportunité véritable de faire bouger les lignes du monde de demain vers une meilleure humanité.

Mais profitons-en pour pousser le bouchon du vivre ensemble et de la convivialité un poil plus loin: Si dans votre entourage, vous avez une personne handicapée ou âgée ou fragile, le truc, c’est de ne pas la parquer dans un coin isolé, où elle ne vous dérange pas, loin de vous, et sous un plaid à carreaux, en la réduisant au silence ou à l’absence de lien et d’attention, exilée, ostracisée. Non, le truc, c’est de la regarder dans les yeux, de l’écouter et de l’entendre, de demander ce dont elle a besoin, de prendre sa main. Et sans relâche, de l’aider à oser, à ressentir, de lui donner le goût de vivre, de l’intégrer, de la respecter et de l’inciter à sortir de toute prison –celle d’un corps, celle de l’esprit, celle de l’exclusion sociale, de la solitude -. De la soutenir, avec légèreté et cœur, en l’installant, au milieu de vous, comme le roi ou la reine qu’ils n’ont jamais cessé d’être, et que vous aviez juste oublié de considérer.

Au nom de la peur, des peurs de l’autre, d’aimer, d’aider, de souffrir, d’être touché, d’être contaminé, et de mourir qui nous font nous geler à l’autre, et fermer nos yeux pour ne pas ressentir et ne pas donner notre cœur. Mettre un voile opaque sur le miroir où cet autre se reflète et nous inflige notre finitude. Et céder à cette peur intense et sournoise nous fait quitter le banc des humains civilisés pour rejoindre une cohorte d’êtres en fuite, confinés émotionnellement, absents à l’essence de l’humanité.

Au lieu de vivre ensemble et partager ensemble le bon et le plus difficile.

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