En retrouvant des lettres oubliées, ils ont exhumé une partie de leur histoire

En retrouvant des lettres oubliées, ils ont exhumé une partie de leur histoire

FAMILLE - Les 200 lettres s’étaient perdues sous un tas de vieux journaux, au fond de la déchetterie de Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime). En décembre 2020, elles allaient partir à la benne à ordures quand une jeune femme – qui se livrait à des expérimentations exceptionnelles dans ces centres de tri – les a arrachées à une disparition certaine.

La belle histoire est contée par nos confrères de La Nouvelle République; les courriers jaunis, aux enveloppes déchirées, datent de la Seconde Guerre mondiale. Deux inconnus s’y déclarent leur flamme. “Cette nuit il fait très froid, je n’ai pas grand-chose pour me réchauffer. Je t’embrasse bien tendrement en espérant que ma lettre vous trouve en bonne santé. Bons et doux baisers”, écrit Pierre à Aimée.

Cet article a été publié dans l’hebdomadaire “La Vie”, retrouvez d’autres contenus connexes

La mémoire d’une famille française

Au-delà de la tendresse qui se dégage de ces mots, c’est aussi un témoignage sur une période troublée qui nous parvient d’outre-tombe. La jeune femme, sentimentale, récupère le trésor manuscrit et lance un appel sur le réseau social Twitter pour retrouver d’éventuels descendants. En quelques heures, elle déniche un petit-neveu passionné de généalogie, leur fille, un petit-fils… Et voilà que les lettres, avec leur graphie et leur sémantique propres à l’époque, réintègrent la mémoire d’une famille française.

Combien sont-elles, les malles au fond de greniers oubliés, à regorger de mots, d’histoires, de secrets, de figures familiales effacées par le temps? Béatrice, Lorientaise d’une soixantaine d’années, se souvient du choc lorsque à la mort de sa grand-mère paternelle, au milieu des années 1990, elle a découvert un coffre-fort dissimulé sous une nappe. À l’intérieur, des centaines de lettres adressées à Marguerite: celles de son frère Maurice, officier de la guerre de 1914, mort en déportation en 1944, celles d’un neveu qui composait des chansons, celles d’une belle-fille qui racontait son expédition scientifique aux Seychelles.

″À travers ces courriers et l’histoire tragique de ma famille juive, on pouvait relire l’histoire de France du XXe siècle”, remarque cette organisatrice de manifestations culturelles. Mais c’est un autre gros paquet de lettres qui l’intrigue avant de la sidère: celles que son père Michel adressait à sa mère, Marguerite (la grand-mère de Béatrice), de 1955, date à laquelle ce jeune ophtalmologiste faisait son service militaire au Maroc, à sa mort, en 1963, à l’âge de 32 ans. ”Il a mis fin à ses jours quand j’avais 2 ans, relate-t-elle avec émotion. Ces lettres sont essentielles car, à travers elles, je le connais enfin un peu.”

“Mettre en mots ce que l’on vit”

Béatrice les lit et relit à différents moments de sa vie, les transporte avec elle dans ses multiples déménagements. Il lui faut du temps pour décrypter la graphie de ce jeune médecin, fine, rapide, une ligne simple ”qui est une autre manière de faire connaissance avec lui”. Puis elle éprouve le besoin de transcrire les mots de feu son père sur un écran d’ordinateur. ”J’avais peur de les perdre, mais également besoin de les mettre à distance.”

Au moment de la découverte des lettres, elle a 36 ans, est mère de deux garçons. C’est un bouleversement. ”Comment avais-je pu me construire jusque-là? Qu’est-ce que je pouvais transmettre à mes enfants?” Les questions se bousculent sur ce père brillant et sensible, engagé dans des missions médicales au sud du Maroc, puis de l’Algérie en proie à la guerre, ”quelqu’un qui portait la mémoire de la Shoah, mais qui malgré tout pensait qu’il pouvait avoir une action positive sur le monde”. 

À travers ses lettres à Marguerite, avec qui il cultivait une relation mère-fils fusionnelle, elle découvre sa pensée, ses motivations profondes, son désespoir. Et ses questionnements sur la guerre que mène la France sur le territoire colonial: ”Ce qui se joue en Algérie, ce sont les traitements d’une injustice inouïe que subit depuis 120 ans le peuple algérien, en commençant par les énormes expropriations des terres, pour terminer par l’esclavage sur les terres des colons”, écrit-il en avril 1956 avec lucidité et vigueur.

“Je me demandais tellement d’où je venais, confie-t-elle. On m’avait toujours dit que je lui ressemblais physiquement, intellectuellement. Ces lettres y répondent en partie.” Dans son bureau, à Lorient, elle a classé les précieuses missives dans des boîtes, une pour chaque membre de sa famille. Maurice, Marguerite, Yvonne, Michel… ”Ce ne sont pas les photos qui m’intéressent, mais cette correspondance. Car ce qui nous définit comme humain, c’est notre capacité à mettre en mots ce que l’on vit, à décrire le monde, nos émotions. C’est aussi d’une grande intimité.” 

En savoir plus sur ses origines

À l’autre bout de la France, Adrien, 31 ans, a exhumé quatre lettres d’un grand-oncle dont il n’imaginait même pas l’existence. C’était un dimanche, autour de Noël 2019, à Lyon. Il bavardait avec Arsiné, sa grand-mère d’origine arménienne. Il voulait qu’elle lui parle de son grand-père mort en 1998. Le jeune homme ressentait le besoin d’en savoir plus sur ses origines. 

Alors l’aïeule a sorti d’une commode une boîte décorée de motifs floraux dans laquelle se trouvaient des photos, des factures vieilles d’un demi-siècle, des lettres des pères mékhitaristes, congrégation installée à Alep, où avait étudié son grand-père. Dans ce fouillis, quatre lettres au papier jauni qu’un dénommé Joseph adresse à sa ”chère petite” Arsiné au début des années 1950. ”Aujourd’hui, quand agenouillé devant l’autel, tu prêteras serment de fidélité et que le prêtre te confiera à ton mari, tu comprendras le vrai sens du plus grand événement qui attend toute jeune fille”, lui écrit l’oncle exilé en Turquie, le 1er septembre 1952, jour de son mariage.

À travers ces courriers, Adrien découvre un monde disparu, à la frontière entre la Syrie et la Turquie, une terre disputée, zone historique de conflits. Revit ainsi cet oncle polyglotte, instruit, chez qui sa grand-mère allait passer les vacances d’été. Le langage est élégant, l’écriture inclinée, resserrée sur elle-même. Cette figure de l’oncle dont il ne reste aucune trace, à part ces lettres, donne envie à ce jeune architecte en reconversion professionnelle d’écrire un roman ”sur ces personnes balayées par la grande histoire juste après la Seconde Guerre mondiale entre Syrie, Arménie et Turquie”.

Béatrice n’a pas encore montré les lettres de son père Michel à ses enfants ni à ses petits-enfants. ”Je leur ai dit qu’elles existaient et que viendrait un jour où il me serait possible de les partager.” En attendant, elle aussi écrit sur son géniteur, qui, avec les années, est devenu un personnage de fiction. Grâce aux quatre lettres de son grand-oncle disparu, Adrien s’est rapproché de sa grand-mère Arsiné, 89 ans, qu’il ne cesse de questionner sur sa lointaine jeunesse. ”Ces lettres sont un support formidable pour parler avec elle et lui permettre de ramener à nous des souvenirs engloutis.” 

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