La crise afghane frappe de plein fouet à la porte de ce que représente l’école de la République

KABOUL, AFGHANISTAN - 24 JUILLET : Behishta, 13 ans, prend des notes pendant son cours de 7e année au lycée Zarghoona, le 24 juillet 2021 à Kaboul, en Afghanistan. Le lycée de filles Zarghoona est l'un des plus grands de Kaboul, avec 8 500 étudiantes. Aujourd'hui, l'école a fait une brève ouverture après une interruption de près de deux mois due au coronavirus. Actuellement, la crainte est grande que les talibans, qui contrôlent déjà près de la moitié du pays, ne réintroduisent leur système notoire qui interdit aux filles et aux femmes la quasi-totalité des emplois et l'accès à l'éducation. Le ministère de l'éducation a annoncé l'ouverture d'écoles, mais les rapports sont mitigés dans de nombreuses régions où les talibans ont pris le contrôle ou où les combats se poursuivent. (Photo par Paula Bronstein /Getty Images)

AFGHANISTAN - Les couleurs de l’école qui vit au cœur de notre République sont un arc-en ciel patiemment construit au fil des années. L’école est un lieu de transgression et d’intégration, d’ascenseur social et de vivre-ensemble, qui fait l’éloge du trait d’union plus que la promotion de l’individualisme, de l’exigence et non de la facilité. Transmission des savoirs, asseoir l’esprit critique, favoriser l’émancipation et lutter contre toutes les formes d’obscurantisme en faisant de la laïcité une valeur partagée permettant un vivre-ensemble tonique.

Les pères de l’école ont été nombreux, qu’ils aient été des acteurs ante ou post Jules Ferry. Parfois très  engagés politiquement comme Victor Hugo, ou bien après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme au moment du Front Populaire Jean Zay, et plus récemment Philippe Meirieu, ils ont porté et portent haut et fort ces messages qui ont fait la fierté de notre école, souvent malmenée, caricaturée, mais toujours sollicitée lorsque la société ne sait pas répondre pleinement aux interrogations fortes liées au terrorisme, à la crise sanitaire ou au défi climatique…

Oui, l’école peut être subversive dans le beau sens du terme

C’est justement ce qu’honnissent les régimes totalitaires, totalisants, terroristes. Sur le temps long de l’histoire, cela est assez singulier ! Mais aujourd’hui, alors que ce socle de valeurs est parfois malmené, fait l’objet de tentatives de déstabilisation, la crise afghane vient frapper de plein fouet à la porte de ce que représente justement l’école de la République.

Durant près de 20 ans, les portes des « prisons afghanes » se sont entrouvertes : sur les plan vestimentaire, social et de l’école. Les murs construits par les islamistes se sont fissurés et c’est peut-être ce qui peut-être retenu comme avancées positives des interventions alliées dans ce pays. Les jeunes et les femmes en général se sont « débarrassées » de leurs prisons vestimentaires et sociales en accédant à des métiers jusque là interdits au sexe féminin.

Les générations nouvelles peuvent craindre la réaction, au sens politique et idéologique du terme. Les jeunes et les femmes ont accédé à l’éducation et ont accumulé des savoirs, des compétences, ont participé à la construction d’uns système de valeurs ambitieux. Alors, au moment où les images terrifiantes du retour des talibans, vainqueurs d’une guerre à la fois lente et, profonde et qui s’est achevée très rapidement, montrent que l’islamisme terroriste et ultra-conservateur s’installe sans opposition, les interrogations sont de plus que jamais essentielles.

Quelle école pour les jeunes filles afghanes?

Ils ont changé, disent-ils eux-mêmes pour se donner une respectabilité aux yeux du monde ! Non, ils ne veulent pas empêcher les jeunes filles d’aller à l’école ! Mais laquelle et jusqu’à quel âge ? L’école qui enseigne la charia ? L’école de la soumission pour reprendre la main sur un début d’émancipation qui avait fait naître de nombreux espoirs ? L’école qui ne transmet pas les savoirs et qui impose des vêtements et ne permet pas la liberté de se vêtir comme les femmes le souhaitent ?

Les interrogations sont effectivement nombreuses, les inquiétudes fondées et cruciales. Peut-être un espoir, une lueur : des femmes afghanes ont manifesté il y a quelques jours, au nez et à la barbe de talibans armés ; au nez et à la barbe d’hommes en civil, ne sachant de quel côté se ranger. Serions-nous à la croisée des chemins ? Il faut le croire, l’espérer. Encore ne faut-il pas se résigner et au-delà du retrait militaire et humanitaire, abandonner le combat idéologique et démocratique. Jamais la conscience de ces femmes courageuses ne doit se trouver emprisonnée.

Vigilance

Même si après le retour des talibans au pouvoir, même si à ce jour aucune directive n’a été publiée, même si des filles sont revenues à l’école, une extrême vigilance s’impose. Vigilance d’autant plus importante que l’ultra-patriarcat est la marque de fabrique des talibans. Vigilance d’autant plus nécessaire que même dans nos démocraties, le silence des féministes est assourdissant. Peut-être les nouveaux maîtres de l’Afghanistan souhaitent-ils donner au monde l’image d’une idéologie qui a changé ? Certes, mais les textes et principes qui sont les leurs donnent à penser le contraire ; l’absolue contraire.

Qui peut imaginer une seconde pouvoir donner un tant soi peu de crédit à ce nouveau régime pour qui la guerre, le choc des cultures et le refus des valeurs de l’occident constitue l’alpha et l’oméga de leur chemin ? Il en va de notre honneur, de la survie de ces femmes, de l’organisation du monde telle que nous la souhaitons et fidèle au message universel des Lumières. La naïveté ne peut être un principe de notre diplomatie.

Car au déshonneur de l’abandon du peuple afghan, nous ajouterions la honte du dévoiement de ce que nous sommes et devons être comme fer de lance d’un universalisme humaniste. Pas de Munich de l’école, de l’Ecole avec ce e majuscule qui dit tout.

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