La victoire des Talibans pourrait donner des ailes aux candidats à la résurrection d’autres califats

Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid (au centre), prononce un discours lors d'une conférence de presse à Kaboul, en Afghanistan, le 24 août 2021. (Photo by Sayed Khodaiberdi Sadat/Anadolu Agency via Getty Images)

L’Afghanistan est probablement un échec pour l’Occident mais surtout pour le pouvoir afghan usé par l’incapacité et la corruption généralisées d’un État mort-né. Derrière l’impossible gestion américaine, il y a l’histoire de responsables politiques rongés pendant deux décennies par les appétits personnels, le manque clair de leadership, l’appât du gain de la communauté internationale, et cerise sur le gâteau, un président Ashraf Ghani qui part en solitaire se réfugier aux Émirats arabes unis, abandonnant le navire en pleine tempête. Sur ces décombres encore fumantes de la République islamique d’Afghanistan, des millions de citoyens, qui espèrent fuir encore par la seule voie possible qui leur reste, l’aéroport de Kaboul, avaient fini de croire en la capacité que le pouvoir aurait de redresser la barre. Le bateau afghan est désormais à la dérive, sans gouvernail, et erre tel un poulet sans tête en attendant son dernier souffle.  

 

Vingt ans de plus des Américains n’y aurait rien changé.

 

Il est complexe de résumer les raisons qui ont conduit à ce drame mondial. Mais une chose est sûre: la prise rapide des Talibans est avant tout l’échec d’un pouvoir national, et de leaders qui ont été incapables de préparer l’État et ses institutions à cette issue du retrait américain. Vingt ans de plus des Américains n’y aurait rien changé. Pour beaucoup d’Afghans épuisés, Hamid Karzaï et Ashraf Ghani n’ont finalement toujours été que des produits hollywoodiens inadaptés, incapables d’être suffisamment crédibles et légitimes pour gouverner un tel pays tiraillé entre tous ses clans. Un influent représentant de la délégation afghane aux négociations entre pouvoir afghan et Talibans, sous couvert d’anonymat pour protéger sa famille encore au pays, reconnaît aujourd’hui tout cela avec douleur. Il nous confiait même récemment son écœurement et le sentiment d’avoir été abandonné lui et son peuple, non seulement par les États-Unis dans l’urgence, mais surtout par le pouvoir central en Afghanistan en lequel il essayait de croire encore un peu: “Pour moi, la responsabilité de tous est claire: aucun n’a su identifier les acteurs essentiels pour le dialogue, les objectifs point par point et étape après étape pour édifier un tel État de manière durable. Il n’y a eu qu’une gestion à court terme de la chose essentiellement dictée par la politique domestique des États-Unis et des présidents qui leur ont été inféodés et ont mis en avant leurs intérêts privés.”[1] 

Quand on lui demande s’il considère que Donald Trump, qui a entrepris dans les derniers mois de son mandat, de négocier directement avec les Talibans en excluant l’État afghan, ce responsable est catégorique: “On ne peut accuser uniquement l’ancien président américain, qui a fait une faute grave aussi. Mais les États-Unis avaient en leur temps arrêté les négociations en 2010, et il a fallu attendre que le Qatar, désormais médiateur régional de poids, se propose pour qu’enfin, on puisse avoir une discussion globale entre les États-Unis, le pouvoir afghan et les Talibans.” Ce qui est sûr, c’est que le frémissement médiatique actuel autour d’une acceptabilité possible des Talibans dans le paysage politique local et mondial, ce qui aurait été exclu il y a quelques années, est en grande partie dû au boulevard que Trump leur a ouvert. De là a pu émerger, à la faveur des islamistes, ce nouveau questionnement mondial que l’on peut lire un peu partout dans les médias tout récemment et qui aurait été encore exclu il y a peu: les Talibans ont-ils changé? Il semblerait que oui puisqu’ils sont au moins devenus des interlocuteurs, et que l’idée qu’ils soient avant tout des terroristes a perdu largement en intensité depuis leur offensive éclair pourtant tout à fait illégale.   

Si les négociations avaient abouti à Doha avant la prise de Kaboul par les Talibans, notre responsable n’aurait pas exclu un gouvernement d’union nationale intégrant même les islamistes. Ce qu’avait exclu d’emblée le mouvement taliban auparavant, et encore tout dernièrement, en emboîtant le pas directement vers une “transition pacifique”. Mais le problème est que rien ne vient depuis des jours, et le pays sombre chaque jour un peu plus dans le chaos. Les Talibans n’ont pas de programme économique, ils s’en remettent déjà à Dieu. Leur vision des droits de l’homme n’a pas changé d’un poil depuis vingt ans. Ce qu’ils diffusent dans les médias n’est qu’un somnifère. Pourtant, le méta-récit national taliban continue à se construire jour après jour, grâce à une communication politique bien plus efficace qu’il y a vingt ans. Utilisant les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, des responsables talibans ont aujourd’hui une fenêtre médiatique unique, qui cependant n’a même pas fait l’objet de débat autour d’une éventuelle interdiction, pendant que le compte de Donald Trump lui avait été suspendu pour moins que cela. Tout cela parce que les réseaux sociaux ont aussi conclu que les Talibans avaient changé? Apparemment. 

 

Utilisant les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, des responsables talibans ont une fenêtre médiatique unique, qui n’a même pas fait l’objet d'un débat autour d’une éventuelle interdiction. Les réseaux sociaux ont-ils aussi conclu que les Talibans avaient changé?

 

La victoire des Talibans va au-delà de tout ce qui vient d’être évoqué pour le simple cas tragique de l’Afghanistan, d’après cet ancien responsable afghan des négociations. Elle donnera des ailes aux candidats à la résurrection d’autres califats dans le monde. La question qu’il faut se poser dès maintenant selon lui est claire: “Comment l’abandon de l’Afghanistan, qui avait canalisé l’islamisme, va inscrire le monde dans une nouvelle dynamique djihadiste pour les vingt ans à venir? Non, les Talibans n’ont pas changé et eux-mêmes le disent. Ils ont la même idéologie religieuse mais ont acquis de l’expérience. Cela veut tout et rien dire bien évidemment. Croire en ce changement, c’est prendre à nouveau l’Occident en flagrant délire de naïveté caractérisée. Et les Afghans ne seront pas les seuls à payer cher dans le futur cette candeur.” 

Il ne sert à rien d’être éternellement optimiste. Ce qui se passe actuellement est en réalité une répétition de l’histoire, un classique du genre comme ce fut, selon lui, le cas au Cambodge par exemple, après la prise de pouvoir par Pol Pot: “Une certaine souplesse, un récit lissé, avant de resserrer la vis sur le peuple. Alors, ils iront taper aux portes pour débusquer les traîtres d’avant. L’amnistie n’est qu’un argument de vente pour l’Occident pour les semaines à venir! C’est maintenant qu’il faut faire pression sur les Talibans, après ce sera trop tard. Pour nous comme pour vous”.

[1] Cette interview privée a été réalisée sous anonymat pour des raisons de sécurité

 
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