EHPAD - Le terme d’hospitalisme fait partie du vocabulaire psychiatrique. Cette “maladie de la séparation” affectant les nouveau-nés placés en pouponnière fut abondamment documentée dans les années 1990 au sein des orphelinats roumains: malgré la dispensation mécanique de tous les soins de base -nourriture, toilette, change-, les bébés manifestaient leur détresse affective d’abord par des pleurs, puis par des insomnies, une perte de poids, pour finir par un état de sidération, de vide, de perte totale de contact au bout de trois mois.
Certains bébés se laissaient ainsi mourir. Ce syndrome de régression mentale parfois irréversible n’a qu’un seul remède: l’attachement, qui est un soin, comme l’est le “peau à peau” à la naissance.
Ma mère de 91 ans, avant si active, marcheuse infatigable, enfermée depuis des mois dans son Ehpad en est encore parfois au stade des pleurs et des cris. Elle a sauté allègrement celui de l’insomnie grâce à la douce alliance d’anxiolytiques et de somnifère, mais déjà le vide est dans son regard.
“Syndrome du glissement”
Je connais la suite: infirmière, j’ai travaillé en Ehpad où l’on connaît bien ce “syndrome de glissement” des vieillards que plus rien n’intéresse, qui cessent de se nourrir, et lentement s’absentent. Aucun gavage (c’est le terme) ne peut les retenir. Le syndrome de glissement est l’hospitalisme du vieux, et dans les deux cas, la mort est au bout.
Mais comme il est naturel de mourir, pour un vieux, l’on n’en fera pas état aujourd’hui dans les chiffres des morts du Covid.
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Pour moi aussi, la mort d’un vieux est si naturelle que je suis prête à prendre le risque de raccourcir la vie de ma maman, avec son accord, et de “risquer” des vacances qui seront peut-être les dernières, une dernière randonnée en forêt...
Mourir en Ehpad, mais pas du Covid
Ce qui n’est pas naturel par contre, c’est de finir sa vie ainsi, dans le vide, l’abandon forcé des siens, chosifié dans la gangue de principes de protection délétères qui durent (6 mois d’un vieux c’est 10 ans d’un jeune), et semblent devoir durer, même après la double vaccination. Celle-ci représentait pourtant tout notre espoir. Mais les protocoles ont encore évolué en pire: 10 jours de confinement en chambre après chaque sortie du fait des nouveaux variants. Et comme maman ne supportera pas ce confinement, je n’ai pas le droit de la prendre avec moi…
L’Ehpad quant à lui est fier de sa réussite: aucun cas de Covid n’y a été enregistré. Donc, aucun mort du Covid.
Pourtant les infirmières y témoignent de très nombreux décès dernièrement, sans aucune autre cause que le refus de se nourrir et de poursuivre une telle existence.
Jusqu’où et jusqu’à quand peut-on supprimer le risque de la vie sans supprimer la vie elle-même?
Monsieur le ministre de la Santé, Madame, la ministre déléguée à l’autonomie, je vous le demande?
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