Covid-19: L'autorisationnisme, l'autre mal qui contamine la France

Sur Twitter, l'ex-publicitaire François Roque (@imposture) a tourné en dérision les dernières restrictions sanitaires du gouvernement.

Mars 2021, une seule case à cocher sur la dernière parodie d’attestation dérogatoire: “Je sors, bisou!”. L’humour de la simplification drastique, dans une crise de complexité aiguë. L’humour de la précision enjouée, dans un monde dévoré par le flou et l’ennui. Voici un an que la pandémie de Covid-19 malmène la France, et que les “bisous” sont moins de lèvres que de papiers. L’âge médian des décès est de 84 ans, avec 75% des patients décédés de plus de 75 ans. Qu’avons-nous appris d’autre, vraiment? 

Nous avons appris que nos présences valent plus que leurs images, et que nous avons viscéralement besoin qu’elles se mélangent. Nous avons appris que les écrans filtrent la part séminale de nos visages, et que nous lisions autant les bouches que les regards. Nous avons appris que le colossal ras-le-bol face à tant d’absurdités logistiques et communicationnelles appelle, comme un contrepoids défoulatoire, des narrations complotistes encore plus absurdes pour pouvoir être supporté. Nous avons appris à chanter derrière nos masques et à nous en laver les mains. À cocher des cases sans réfléchir. À nous signaler sans protester. À télétravailler en tongs. À “décirculer”; à ne rien voir. À nous laisser contaminer, consentants-rouspétants, par la culpabilisation sanitaire. Oui, nous avons désappris le goût de la liberté. 

 

Ce n’est pas la servitude volontaire: c’est la liberté autorisée.

 

L’incubation fut aussi efficace qu’indolore. Une question d’habitudes. Des habitudes poisseuses, comme cette “solidarité” sur ordonnance, ni documentée ni évaluée, qui justifie encore toutes les restrictions. Certains voudraient voir dans cette gabegie savante une expérience “grandeur nature” qui testerait notre soumission à l’autorité. Pour le capitalisme, mis à mal par cette crise mais qui en a vu d’autres, il s’agit plutôt de profiter de la sidération populaire et du sentiment d’impuissance pour préparer le fameux “monde d’après”. Non pas celui de l’écologie et de la justice sociale, mais un monde où il fait relativement bon vivre à condition de demander, à chaque fois que le démon de la liberté nous taraude, la permission.

 

 

Dans un système où chaque crise engendre la suivante, nous ne livrons jamais les combats que nous pensons être en train de livrer. Aussi devons-nous réunir nos intelligences avec mille fois plus d’intensité qu’à l’accoutumée. Nous devons inventer une société civile proactive, et regarder la Covid-19 avec des yeux neufs. Ce n’est plus une simple maladie: c’est devenu un mal. Un mal à forte charge antidémocratique. De virus en virus, de variants en variants, il peut durer cent ans. La paralysie sociale qu’il pérennise se présente comme un mal nécessaire dans la mesure où elle neutralise la volonté générale en brandissant l’imparable alibi de la santé générale. Le Mal parfait, qui, au nom du Bien, désassemble, rééduque et corrompt. 

La Chine nous montre la Voie. Celle de l’Harmonie entre l’exploitation des pauvres, la persécution des musulmans ouïghours et la répression préventive des contestataires. En matière d’“autorisationnisme”, sa technosurveillance a une décennie d’avance. La France, par sa docilité stupéfiante et, pour tout dire, inimaginable, est en-dessous de son destin historique. Elle est servie, il est vrai, par un quarté gagnant. Un Président poker face, incapable de remises en question. Un gouvernement aux ordres. Un journalisme comptable, manquant d’analyses critiques et de contextualisations. Des intellectuels plus que jamais “assis”, en panne d’outils et d’idées. L’autorisationnisme croît sur ces désengagements-là, saupoudrés de fausses polémiques islamocentrées. Une carence d’autocritique et de partages inspirants, de résistance rationnelle et de questionnements sur notre civilisation.

En une année seulement, le coronavirus est devenu le cheval de Troie d’un “pharmacolibéralisme” qui se cherche et se trouve à la vitesse grand “V”. En effet, comment espérer notre salut d’un État qui, dans cette crise inédite, révèle son inefficacité tyrannique? Comment ne pas donner raison à Paul Nourrisson, cet avocat anti-socialiste et réactionnaire du début du XXème siècle fustigeant l’État, “puissance [qui] envahit tout, s’empare de tout, accroît sa force à travers toutes les vicissitudes politiques, et, dans les divisions mêmes des citoyens, […] puise une nouvelle vigueur”? Le pharmacolibéralisme œuvre pour la mort de l’Etat social et des idéaux humanistes (sujets autonomes, démocratie active). Son autorisationnisme, en lieu et place de la liberté, facilite la gestion d’unités de détresse consentantes et désorientées. Ce n’est pas la servitude volontaire: c’est la liberté autorisée. Et qui fait les frais de l’effort de “guerre” déployé? Les “derniers de cordée”, pour qui les impôts pèsent. Ils étaient fâchés et massivement soutenus, tout comme réprimés à coups de matraque et de monologues présidentiels. L’autorisationnisme, lui-même autorisé par la pandémie, classe magiquement l’affaire: ils furent réquisitionnés pour amortir nos inconforts, et le seront pour amortir la crise. Opérationnels à l’envi.

Quel contre-pouvoir face à l’instauration d’un pharmacolibéralisme dissimulé derrière l’urgence? La culture vivante. Elle rechigne à déserter la liberté, qu’elle veut imprescriptible. Qu’importe! L’autorisationnisme nous fera déserter la culture. C’est son tour de force: enterrer la possibilité d’une contagion de la créativité et de la dissidence. Ne survivront que des amuseurs numériques, maniant une moquerie inoffensive car dépourvue de substance politique et d’horizons. Certains rires aggravent le flou en donnant l’illusion de le dissiper. Pourquoi donc faire autant de mal à la culture, sinon parce qu’elle est justement l’arène de la substitution qui s’opère sous nos yeux: le remplacement de la culture de la liberté par la culture de l’autorisation?  

Il y a un an, nous craignions la mort. Elle semblait pleuvoir de toutes parts et endeuiller nos moindres joies. Grâce à l’imprégnation pernicieuse de l’autorisationnisme dans notre quotidien, nous commençons à craindre la liberté. À ce rythme, si nous n’inventons pas des associations inédites à forte charge démocratique, nous craindrons bientôt la vie elle-même, pour de bon. Nous allons tout droit dans les mâchoires d’un monstre. Avons-nous bien signé notre attestation?

 

“Le Monde est flou. L’avenir des intelligences de Vincent Cespedes, Editions Plon, 2021, en savoir plus ici.

 

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