En Espagne, les images de touristes français "venus se saouler" ne passent pas

Des personnes assises en terrasse à Madrid, le 12 mars 2021 (photo d'illustration)

CORONAVIRUS - “Ça n’a pas de sens de nous demander de faire des efforts et en même temps de transformer le pays en bistrot de l’Europe!“. Cette critique du député d’opposition de la région de Madrid, Íñigo Errejón, décrit bien l’incompréhension et la colère de nombreux Madrilènes et Espagnols face à la présence de nombreux touristes dans les rues de la capitale ces derniers jours.

Une colère également résumée par le célèbre chef basque, Karlos Arguiñano, dès le weekend dernier lors de son émission de cuisine sur Antena 3. “Vous pouvez m’expliquer pourquoi nous n’avons pas le droit d’aller saluer nos grands-parents, mais que les Français viennent chez nous se pinter comme des ours?”

L’ambiance hier soir (le vendredi 26 mars au soir) dans la rue Espoz y Mina, dans le centre de Madrid, où des dizaines de touristes, pour la plupart français, faisaient encore la fête après le couvre-feu, partagé par le quotidien espagnol El Pais le 27 mars 2021.

Déjà première destination touristique des Français, l’Espagne a renforcé son pouvoir d’attraction en écartant, dès janvier et en plein rebond épidémique, tout nouveau reconfinement en raison “des dommages économiques, sociaux et mentaux” qu’il pourrait engendrer. Les bars et les restaurants sont ouverts jusqu’à au début du couvre-feu fixé à 23h dans plusieurs grandes villes, ainsi que les musées et les théâtres.

Madrid s’est ainsi transformée en refuge pour les touristes étrangers, cela alors que paradoxalement les déplacements sont désormais interdits entre les 17 régions espagnoles - sauf vers les Îles Canaries ou cas de force majeure - jusqu’au 9 avril pour éviter un rebond des contaminations à l’occasion de la Semaine Sainte, véritable institution dans le pays. “On a quitté la France pour venir à Madrid et c’est surréaliste de boire une bière en terrasse, quand je pense qu’on est confinés à Paris ... c’est magique!”, témoignait vendredi à l’AFP un étudiant de 22 ans, arrivé deux heures plus tôt à l’aéroport de la capitale.

Car comme le signalent beaucoup d’Espagnols, parfois avec ironie sur les réseaux sociaux, les touristes sont le plus souvent venus pour faire la fête, au point que le hashtag #turistasfranceses se partagent de plus en plus sur Twitter pour diffuser les images de touristes “venus se saouler” ou chanter la Marseillaise sans respecter les gestes barrière et les restrictions de regroupement en extérieur imposées par le gouvernement.

“Des touristes français enthousiastes à l’idée d’aller au théâtre de Madrid.”

“Des touristes français, admirant les peintures de Rubens dans le Prado.
Merci d’être venu.”

“Ici un groupe de tourisme culturel français recréant ‘La Liberté guidant le peuple’ d’Eugène Delacroix dans les rues de Madrid.”

“Deux touristes français épuisés de fatigue, visitant 25 musées à Madrid en une journée.”

Un enjeu devenu politique à Madrid

Face à ce deux poids deux mesures, plusieurs personnalités politiques se sont fait entendre. Le député d’opposition, Íñigo Errejón, a notamment dénoncé une situation “absolument incompréhensible” où un Espagnol ne peut pas “aller voir son grand-père à Santander” mais “un Allemand de Düsseldorf, lui, peut se rendre à Majorque”. 

“La présidente de la communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso doit arrêter de poser le tapis rouge aux hordes de Français qui viennent se saouler”, a elle demandé Mónica García, candidate aux élections régionales du 4 mai prochain dans la communauté de Madrid, parlant d’un “tourisme d’ivresse”. “On demande aux Madrilènes d’être responsables, on ne peut pas aller voir notre famille mais dans les appartements d’à côté se tiennent des fêtes illégales”, a-t-elle ajouté.

Car ces soirées organisées dans des appartements touristiques, loués sur des plateformes type Airbnb et où se rendent parfois plusieurs dizaines de personnes sans respect des gestes barrières, sont celles qui attirent tous les regards. Le maire de droite de Madrid, José Luis Martinez-Almeida, a beau défendre ces étrangers venus non pour “boire” mais “pour nos théâtres, nos cinémas, notre opéra, profiter de la culture”, les Madrilènes vivent très mal cette situation.

L’un des porte-paroles de la Commission européenne, Christian Wigand, a lui demandé à Madrid plus de “cohérence” dans ses mesures de restriction. “Ce que les touristes ont le droit de faire, les Espagnols doivent pouvoir le faire aussi”, a-t-il expliqué.

L’ambassade de France en Espagne a, elle, d’abord temporisé avant d’annoncer ce samedi 27 mars que des tests PCR négatifs de moins de 72 heures seraient demandés aux voyageurs arrivant par la route depuis la France, cela à compter de mardi prochain. C’est la première fois qu’une telle exigence est imposée à ceux qui franchissent la frontière terrestre entre les deux pays. Jusqu’à présent, cela n’avait été exigé que pour des arrivées par les airs.

Seules les personnes travaillant dans le transport routier et les travailleurs transfontaliers seront exemptés, ainsi que les personnes qui vivent dans la zone frontalière tant qu’elles restent dans un rayon de 30 kilomètres autour de leur domicile.

Après une chute spectaculaire des cas de contamination et du taux d’incidence depuis le début du mois de février, l’Espagne voit la tendance s’arrêter et ses chiffres repartir à la hausse ces dernières heures avec 7.586 nouveaux cas en 24 heures vendredi.

Aux Baléares, où les touristes majoritairement allemands et anglais sont attendus ces jours-ci notamment à Majorque, l’inquiétude monte également poussant l’un de ses hauts fonctionnaires, à demander au pouvoir central l’interdiction des visiteurs pendant les vacances de Pâques en raison des craintes d’un pic d’infections à Covid.

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