POLITIQUE - D’ordinaire, c’est plutôt lui qui cogne. Mais depuis quelques semaines, le garde des Sceaux, et avec lui l’institution qu’il représente, sont la cible de nombreuses attaques et accusations en “laxisme” dans le sillage de plusieurs faits-divers médiatiques.
À la manoeuvre: l’opposition de droite, toujours prompte à faire de la sécurité son précarré, et certains syndicats de police, dont le rassemblement sulfureux, la semaine dernière, a viré au procès d’Éric Dupond-Moretti et de ses troupes. Le ministre, hué par une partie de la foule, n’a pu que dire son indignation quant aux formules “le problème de la police, c’est la justice” ou “la justice doit rendre des comptes”, clamées de la tribune, sous les fenêtres de l’Assemblée nationale.
Des sortes de cris de ralliement qui ont provoqué la stupeur des magistrats et la gêne de certaines organisations policières présentes à ce grand raout. Sur la forme mais pas forcément sur le fond. Car ces mêmes syndicats, qui retrouvent l’ancien avocat ce jeudi 27 mai à l’occasion d’une nouvelle réunion du “Beauvau de la sécurité”, le clament haut et fort: la relation dégradée entre police et justice est une des sources du mal-être et des difficultés des forces de l’ordre au quotidien. Des reproches anciens, auxquels s’ajoute un contexte marqué par les meurtres et les récentes agressions de policiers, qui laisse entrevoir un rendez-vous électrique.
″Ça devrait bouger fort”
Dans ces conditions, le garde des Sceaux craint-il d’être chahuté dans les salons dorés du ministère de Gérald Darmanin? “Les comportements de foule sont nécessairement différents de ceux d’une réunion à Beauvau autour de deux ministres. Les attitudes seront, pour sûr, républicaines”, glisse son entourage à l’AFP.
Mais ”ça devrait bouger fort”, anticipe de son côté Fabien Vanhemelryck, le secrétaire général d’Alliance, l’organisation qui avait imposé l’ouverture du “chantier” des relations entre policiers et magistrats, conditionnant sa participation à ces discussions, quand son collègue Patrice Ribeiro, de Synergie-Officiers ajoute: “je pense que le garde des Sceaux ne va pas passer une bonne matinée.”
Concrètement, les syndicats entendent bien profiter de leur coup de force dans la rue pour pousser leurs revendications vers davantage de sévérité contre les agresseurs de policiers. Et ce même si le gouvernement a déjà accédé à certaines d’entre elles. Plusieurs mesures annoncées par le Premier ministre Jean Castex après le meurtre du brigadier Éric Masson à Avignon ont même d’ores et déjà été votées par les députés: l’allongement à 30 ans de la mesure de sûreté des condamnés à perpétuité pour un crime sur un policier ou un gendarme, la limitation des réductions de peine pour les agresseurs des forces de l’ordre et la fin des rappels à la loi.
“Ce n’est pas suffisant”, juge Grégory Joron, d’Unité SGP Police. À l’instar de toutes les organisations de l’intersyndicale, il ne “lâche pas l’affaire” sur la question des “peines minimales” (appelées aussi “peines planchers”), malgré la constante opposition du gouvernement, et affiche une forme de vigilance quant à la mise en oeuvre promise au 1er juillet d’un observatoire de la réponse pénale, centré sur les infractions commises contre les forces de l’ordre.
“Cela fait des années que l’on entend ce genre de discours”
Une revendication de (très) longue date qui témoigne de ce vieux ressentiment entretenu par la police à l’égard des magistrats. Car s’il est aujourd’hui explosif, qui plus est à un an de l’élection présidentielle, l’épineux débat autour de la “réponse pénale” ne date effectivement pas d’hier. “Faire une table ronde sur cette thématique, c’est déjà une belle idée, même si cela fait des années que l’on entend ce genre de discours”, racontait au HuffPost la députée marcheuse de l’Aisne Aude Bono-Vandorme en mars dernier, avant que la réunion consacrée aux “relations entre la police et la justice” soit reportée pour finalement se tenir ce jeudi.
“Aujourd’hui, notre système judiciaire a périclité”, regrettait pour sa part Jean-Michel Fauvergue, s’appuyant notamment sur des sondages dans lesquels la satisfaction envers la justice est bien moindre chez les Français qu’elle ne l’est pour la police. “Les gens se retournent contre la justice maintenant. On le voit en circonscription, beaucoup de gens me parlent de l’inanité des magistrats et de la justice”, avançait alors l’ancien patron du Raid.
Autant de sentiments partagés par l’ancien maire de Lyon Gérard Collomb qui a occupé le fauteuil de Gérald Darmanin entre mai 2017 et octobre 2018. “Plus vous avez un encombrement des tribunaux, plus vous avez des difficultés”, expliquait-il au HuffPost. Ajoutant: “le procureur de la République va vous dire ’Écoutez, je sais qu’il y a de la vente de cigarettes ici mais j’ai d’autres choses plus importantes à gérer. Et ça, je le vois d’autant plus maintenant que je suis de l’autre côté de la frontière, c’est la démoralisation pour les populations et les policiers.”
La question des moyens en toile de fond
De fait, nombreux sont les membres des forces de l’ordre à estimer que les suites judiciaires sont bien trop longues à intervenir (et bien souvent pas à la hauteur de leurs attentes). “Pour le moment, pour caricaturer, nos collègues n’ont pas fini de rédiger leur rapport que le type qu’ils ont arrêté est déjà dehors”, s’agaçait déjà Frédéric Lagache le délégué national d’Alliance Police nationale en mars dernier.
Autant de griefs qui rendent d’autant plus nécessaire la discussion prévue à l’occasion de ce “Beauvau”, selon Gérard Collomb, qui plaide, de son côté, pour “remettre des moyens dans la justice, chez la police judiciaire”. Car derrière les questions de simplifications de procédure ou autre application des peines, se trouve souvent la question du budget alloué au ministère de la place Vendôme. Les policiers en tout cas refusent d’avoir à porter le poids de la paupérisation de la justice.
“Dès lors que la criminalité existe, il faut se donner les moyens de répondre”, réclame par exemple Frédéric Lagache, le délégué national d’Alliance Police nationale. Et de poursuivre: “ce n’est quand même pas aux policiers de répondre à un contexte où l’État ne prend pas en considération l’ensemble de ses éléments. Bien sûr qu’il faut davantage de places dans le système carcéral pour que les juges puissent prononcer des peines de prison.”
Qu’en est-il place Vendôme -où le garde des Sceaux peut se targuer d’une hausse de budget historique? En mars dernier, l’entourage d’Éric Dupond Moretti présentait ce rendez-vous comme “un moment où les syndicats pourront échanger avec les parties prenantes”, tout en expliquant que le ministre s’attacherait à “casser un certain nombre de préjugés” à l’égard du fonctionnement de son administration. Comprendre: ce n’est pas lui qui fixe les peines ni rédige les procédures qui, parfois, ne permettent pas les poursuites. Reste à savoir comment, dans ce contexte explosif, le garde des Sceaux fera entendre sa voix.
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