POLITIQUE - La visite est d’ores et déjà présentée comme “historique”. Quelques semaines après la remise du rapport Duclert qui fait état de “responsabilités accablantes” de la France pendant le génocide des Tutsi au Rwanda qui a fait plus de 800.000 morts, Emmanuel Macron se rend pour la première fois en visite officielle dans le pays les 27 et 28 mai.
Hervé Berville, le député LREM des Côtes-d’Armor qui avait représenté le chef de l’État aux commémorations du 25e anniversaire du génocide en 2019, fait partie de la délégation officielle au côté du président.
Pour Le HuffPost, ce fin connaisseur du dossier, spécialiste en économie du développement et né au Rwanda, décrypte les enjeux de ce voyage et l’importance d’une “mémoire commune” entre les deux pays qui n’ont pas encore rétabli officiellement leurs relations diplomatiques alors qu’il n’y a plus d’ambassadeur de France à Kigali depuis 2015. L’homme de confiance du président sur le sujet assure ne pas être candidat au poste qui pourrait être rétabli après cette visite, arguant que la France “regorge de diplomates de grande qualité”. Entretien.
Le HuffPost: Emmanuel Macron se rend au Rwanda ce jeudi 27 mai, et parle déjà d’une visite “historique”. En quoi l’est-elle selon vous?
Hervé Berville: C’est une visite inédite et historique car c’est la première fois qu’un président de la République en exercice a le courage de se rendre au mémorial du génocide de Gisozi pour prononcer un discours solennel et reconnaître la place du génocide des Tutsi dans la mémoire collective de notre pays. Cette visite va permettre d’écrire une nouvelle page. Au-delà du rôle de la France, c’est l’opportunité de construire l’avenir sur des bases solides, profondes et de travailler ensemble sur la culture, l’économie et la jeunesse.
Le dernier président en exercice à être allé au Rwanda est Nicolas Sarkozy, en 2010. Il s’était rendu au mémorial et avait reconnu lors d’une conférence de presse “de graves erreurs d’appréciation”...
Une étape avait été franchie par Nicolas Sarkozy. Nous devons lui reconnaître lucidité et audace politique dans ce dossier qui contraste d’ailleurs avec le mutisme et l’entêtement de la gauche française, et a fortiori du Parti socialiste, qui dans cette tragédie est complètement absente de ce travail de mémoire et de rapprochement.
Bernard Cazeneuve se fait le porte-parole d’un discours qui porte en lui une forme de désinvolture vis-à-vis de ce qu’a été la réalité du génocide des Tutsi
À qui pensez-vous?
Je pense à Bernard Cazeneuve qui, dans une interview au Monde (le 17 mai dernier, NDLR) se fait le porte-parole d’un discours qui porte en lui une forme de désinvolture vis-à-vis de ce qu’a été la réalité du génocide des Tutsi. Un ancien Premier ministre s’honorerait à regarder l’histoire en face et à reconnaître les erreurs. J’ai été atterré par le fait qu’il n’ait même pas un mot pour les rescapés et les victimes dans cet entretien…
Comment avez-vous reçu le rapport Duclert rendu en mars 2021 qui fait état de “responsabilités accablantes” de la France dans le génocide rwandais, sans pour autant parler de complicité?
J’ai trouvé que c’était un travail remarquable. Les chercheurs et experts mobilisés de différents champs et de grande qualité ont réalisé un travail titanesque. Ils ont analysé plus de 8000 documents d’archives et en tirent une conclusion implacable qui remet de la vérité, de l’objectivité et une argumentation sur ce qui s’est réellement passé.
Il permet de sortir des caricatures et de dire que non, la France n’est pas complice, non les militaires n’ont pas participé à la préparation et à l’exécution du génocide. Il permet de confirmer que les soldats sur le terrain ont sauvé l’honneur de la France. Mais de l’autre côté, ce rapport est très clair sur la lecture ethniciste, racialiste et totalement dépassée d’un certain nombre d’autorités et d’élites politiques de l’époque. Le gouvernement de l’époque et la communauté internationale ont une responsabilité politique, intellectuelle et morale.
La commission Duclert a réalisé un travail titanesque qui remet de la vérité sur ce qui s'est réellement passé.
Que doit dire Emmanuel Macron lors de son discours du 27 mai?
Regarder l’histoire en face, la surmonter et écrire un nouveau chemin entre nos deux pays et nos deux sociétés. Il est important d’avoir des mots qui ne soient ni dans le déni, ni dans la repentance, mais dans la reconnaissance et qui permettent à notre pays et de manière générale à toute la communauté internationale de sortir grandis de cette tragédie.
La France doit-elle présenter des excuses au Rwanda comme l’ont fait la Belgique, les Nations unies ou les Etats-Unis?
Il appartient au président de la République de décider. Certains en France et au Rwanda estiment que présenter des excuses a quelque chose de dérisoire quand on parle d’un génocide qui a fait plus d’un million de morts. Ce qui compte, c’est avant tout une démarche de rapprochement irréversible et de réconciliation sincère.
En l’an 2000, le Premier ministre belge de l’époque, Guy Verhofstadt, avait eu des mots très forts à Gisozi en disant “Au nom de mon peuple, je vous demande pardon”. Paul Kagame avait alors salué un “acte courageux”.
Oui c’était courageux, et vous faites bien de souligner qu’il a préféré le mot “pardon” au mot “excuse”. Quand on discute avec les rescapés et les acteurs sur place, ils vous disent qu’ils attendent de la précision et de définir la raison pour laquelle on s’excuse ou on demande pardon. Vu ce qu’il s’est passé depuis 2017, j’ai peu de doutes sur le fait que le président Macron saura trouver les mots, le vocabulaire et la grammaire qui permettront de répondre aux attentes des victimes du génocide et des rescapés et surtout d’avoir une compréhension commune du rôle de la France.
Deux figures de l’opposition au Rwanda dénoncent le silence d’Emmanuel Macron sur “la violation des droits humains”. Le président de la République doit-il s’exprimer sur le sujet?
Le président de la République n’a jamais été silencieux sur la question des droits humains, que ce soit au Rwanda ou ailleurs dans le monde. C’est aussi parce qu’on va normaliser nos relations avec le Rwanda qu’on pourra aborder ces questions plus facilement. Sans relation diplomatique, c’est plus compliqué. Attention toutefois à ne pas poser systématiquement un regard caricatural et biaisé quand il s’agit des droits humains dans les pays africains. Il y a souvent un “deux poids, deux mesures” que l’on observe et que l’on est en droit de questionner en ce qui concerne notre rapport à l’Afrique.
Je trouve anachronique et anormal qu'on n'ait pas accès aux archives de l'Assemblée nationale dans ce dossier.
Libération a exhumé une lettre de Michel Rocard sur le sujet à laquelle les experts de la commission Duclert n’ont pas eu accès, car l’Assemblée nationale refuse de donner accès à ces archives. En avez-vous parlé avec Richard Ferrand? Le déplorez -vous ?
C’est le bureau de l’Assemblée nationale qui a décidé. C’est aussi une question de parole tenue, car les auditions de l’époque étaient à huis clos. Je connais le grand intérêt de Richard Ferrand pour les questions de mémoire et d’histoire, il est probable qu’on continue à cheminer pour lever ces archives.
Souhaitez-vous la levée de ces archives pour qu’elles soient disponibles au public?
Bien évidemment. Je trouve ça anachronique et anormal qu’on n’y ait pas accès.
Êtes-vous candidat au poste d’ambassadeur de France à Kigali qui pourrait s’ouvrir cet été?
Rires. La seule candidature envisagée est celle du renouvellement de mon mandat en 2022. J’aime la Bretagne et je suis attaché à cet engagement.
Mais si on vous le proposait?
Aucune chance que ça arrive! La France regorge de diplomates de grande qualité.
Qu’est-ce que vous pourriez conseiller à nos lecteurs et lectrices qui voudraient mieux se renseigner sur le sujet?
Je leur conseille le film Shooting Dogs de Michael Caton-Jones et l’excellent documentaire de Sonia Rolland, Du chaos au miracle, qu’on peut voir sur Vimeo en accès libre. Et des livres! Dans le nu de la vie de Jean Hatzfeld, des récits de rescapés et “Une saison de machettes”, du même auteur. Et puis bien sûr “Notre-Dame du Nil”, de Scholastique Mukasonga qui permet de se rendre compte de la mécanique qui s’est enclenchée et de l’ampleur de la tragédie. Et pour bien comprendre qu’un génocide vient de loin et était préparé vingt ans auparavant.
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