CINÉMA - Une soif de vengeance, mais sans bain de sang. Ce mercredi 26 mai, un film atypique et déroutant arrive sur nos écrans, en France. Il porte le nom de “Promising Young Woman” et a valu à sa réalisatrice, la cinéaste britannique Emerald Fennell, le titre du “scénario original” lors de la dernière cérémonie des Oscars.
Son histoire, c’est celle d’une certaine Cassie, incarnée ici par Carey Mulligan (“Une éducation”, “Drive”). Serveuse le jour, elle se métamorphose la nuit pour attirer des hommes, bien sous tous rapports, mais prêts à abuser de jeunes femmes quand elles se retrouvent sans défense. Son but est clair: elle veut venger le viol dont a été victime sa meilleure amie, qui s’est suicidée des années en arrière, en transformant ces prédateurs pour leur apprendre le respect.
Le long-métrage de la scénariste de “Killing Eve” est disruptif et inquiétant. Il est à mi-chemin entre le thriller, l’horreur et la comédie. “Je n’ai jamais été une grande dormeuse, raconte-t-elle dans les colonnes de Glamour. Je lisais beaucoup au lit, probablement parce que j’avais peur de tout. Je le suis toujours. J’étais catastrophée par tout. Je me disais alors qu’en pensant aux choses qui m’effrayaient, ça les éloignerait. Je pense que c’est la même chose pour beaucoup de gens qui aiment le cinéma d’horreur, notamment les femmes. C’est une façon perverse de se protéger.”
Découvrez ci-dessous la bande-annonce du film.
L’idée d’un tel scénario effrayant autour de la culture du viol lui est venue en 2016. Il est né d’un constat, celui de n’avoir jamais vu un seul film de vengeance au féminin qui “ne soit pas le périple d’un homme vêtu d’une robe”. Ce à quoi fait référence Emerald Fennell, ici, ce sont les “rape and revenge” movies, un cycle de films très controversés, réalisés pour la plupart par des hommes et dans lesquels une femme se fait violer puis se venge, en retournant la violence contre ses agresseurs.
Aux origines du genre
“The Black Cat” au Japon, “Un colt pour trois salopards” au Royaume-Uni, “Crime à froid” en Suède. Même si le genre s’est rapidement exporté dans le monde entier, il est né aux États-Unis au tournant des années 1970, période de renouveau à Hollywood associée à des changements en matière de représentation. Elle se traduit par “des personnages féminins nouveaux qui ne soient pas les ‘charmantes idiotes’ du cinéma des années 1950 et 1960”, nous explique Brigitte Rollet, spécialiste sur les questions de genre et de sexualités au cinéma.
Les films de “rape and revenge” sont d’une rare violence. D’après la critique de cinéma Anaïs Bordages, cette violence reflète une volonté de choquer “la bonne morale de certains Américains, hantés par les images qu’ils ont vues de la guerre au Vietnam, et de les réveiller sur les atrocités qui se déroulent dans leur pays”.
“I Spit on Your Grave” (1, 2 et 3), “La dernière maison sur la gauche” de 2009, “Return to Sender”, “Descent”, ... Comme en témoignent ces titres parus ces dernières années, la production ne s’est jamais arrêtée, même si beaucoup d’entre eux ne sont pas parvenus jusqu’à nos oreilles. En France, la Croisette garde un souvenir amer du long-métrage de Gaspard Noé “Irréversible”, un film accusé de banaliser le viol. Certaines de ses scènes ont heurté plus d’un festivalier.
Voyeurisme, violence...
Il n’est pas le seul et ne sera sans doute pas le dernier. Ce sous-genre cinématographique pose bien des questions. À commencer par le titre même du cycle: “rape and revenge”. “Dans un cas, on est violée, dans l’autre on se venge. Il met en parallèle une dualité de passif à actif, constate Brigitte Rollet. On veut rééquilibrer la violence qu’une femme a subie en en commettant une autre.”
Pour la chercheuse, le voyeurisme des scènes de viol, qui pour la plupart sont filmées du point de vue de l’agresseur, ne passe pas. Un constat partagé par Anaïs Bordages. “La caméra est beaucoup centrée sur la souffrance de la victime, qu’on voit tout le temps dénudée au début du film, comme pour justifier qu’elle se fait agresser sexuellement ensuite”, analyse la cinéphile.
La construction de la dangerosité des femmes interroge. L’esthétisation de la violence féminine, aussi. Elle n’est pas montrée comme de l’autodéfense, mais en décalé avec l’acte. Alors qu’elle est jubilatoire et vécue comme un spectacle chez certains, la violence perpétrée contre les femmes, elle, contribue ”à les remettre un peu plus à leur place, en montrant une telle représentation de la sexualité et le risque de viol qui plane sur elles”, selon Brigitte Rollet.
Pourquoi un tel déchaînement d’actes violents? Servent-ils le propos? En général, pas vraiment. “On a l’impression que plus la femme a subi de sévices, plus ça va justifier qu’il y en ait d’autres, poursuit l’enseignante à Sciences-Po. La vengeance ne pose pas de question sur le viol en tant que tel.” Comme l’a sous-entendu Emerald Fennell, ces films sont souvent conçus par des hommes. “Ils imaginent un peu ce qu’un homme ferait s’il était victime d’une violence pareille, c’est-à-dire en rétribuant cette violence, remarque Anaïs Bordages. C’est une vision très masculine que d’obtenir justice après un viol.”
Quid de “Promising Young Woman”?
En 2017, un film français et discret aurait pourtant tiré son épingle du jeu. Il s’agit de “Revenge”. Il a été écrit et tourné par une femme: Coralie Fargeat. La différence est notoire. “La première partie nous est montrée du point de vue des violeurs, sans que ce soit excitant. C’est plutôt décourageant. Elle nous pousse à voir à quel point l’objectification de la femme est perverse. Puis, ça se renverse”, rapporte la journaliste.
Comme sa consœur française, Emerald Fennell a réfléchi et conscientisé les manquements du genre. “Comment pourriez-vous ruiner la vie de quelqu’un, ou du moins sa journée, sans le menacer ou le toucher? Nous ne sommes pas naturellement enclins à la violence, alors quel genre d’actes de vengeance ou de colère pouvons-nous commettre?”, s’est-elle demandé.
Cassie confronte les gens qui ont conduit à la mort de son amie et les réveille sur la nature de leurs actes. Ça les terrifie. “Le film joue sur toute notre compréhension des ‘rape and revenge’ et de ce qu’on pense des victimes de viol qui vont se venger en tuant leur violeur”, ajoute Anaïs Bordages. Dans “Promising Young Woman”, il n’y a aucun flash-back. La traditionnelle humiliation, elle, n’apparaît pas. “On sait ce que c’est un viol, commente la spécialiste. On n’a pas besoin de montrer le viol pour susciter de l’empathie.” La psychologie l’emporte-t-elle sur l’hémoglobine? Il semblerait que oui.
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