Biélorussie: le régime de Loukachenko franchit une étape de plus

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko, dans sa résidence, le palais de l’Indépendance à Minsk, le 25 octobre 2013 

BIÉLORUSSIE - La répression est montée d’un cran en Biélorussie. Ce dimanche 23 mai, un avion de la compagnie RyanAir à bord duquel se trouvait un militant de l’opposition - Roman Protassevitch - a été intercepté par le régime d’Alexandre Loukachenko, entraînant une série de sanctions européennes contre le régime biélorusse. 

Le journaliste d’opposition, Roman Protassevitch, qui se trouvait depuis novembre dernier sur la liste des  “individus impliqués dans des activités terroristes”, a été arrêté à l’aéroport avec sa compagne Sofia Sapéga, et est désormais détenu à Minsk, la capitale. Il avait notamment joué un rôle important en août 2020 dans la vague de contestation de la réélection de Loukachenko. Que montre cette opération militaire du régime d’Alexandre Loukachenko, qui occupe ses fonctions depuis 1994?

“Ce détournement correspond à une réelle montée en puissance de la violence et de la répression face à la contestation”, décrypte auprès du HuffPost Alexandra Goujon, maître de conférences à l’université de Bourgogne et spécialiste de la Biélorussie. Jusqu’ici, le régime de Loukachenko mettait à l’écart les opposants au régime en les exilant hors de la vie politique, avec notamment une série de disparitions de plusieurs opposants au président biélorusse dans les années 1990. 

Le détournement de l’avion signe la fin de l’exil comme solution de repli pour les militants, à l’instar de Roman Protassevitch, qui vivait en exil depuis un an entre la Pologne et la Lituanie. “On ne peut se sentir en sécurité nulle part, la répression touche tous ceux qui émettent des opinions négatives, qu’ils soient en Lituanie, en Ukraine, ou en Pologne. L’activisme est dangereux pour tous, partout”, précise Alexandra Goujon.

La légitimité du pouvoir de plus en plus érodée

Une analyse corroborée par celle d’Anne Colin Lebedev, enseignante chercheuse spécialiste de l’ex-URSS, pour qui l’arrestation de Roman Protassevitch correspond à un changement “qualitatif” et non plus “quantitatif” d’une répression devenue “spectaculaire”. À l’intérieur du pays, les Biélorusses ont l’impression d’avoir basculé d’un régime humain à un régime totalement inhumain et illégitime, souligne-t-elle auprès du HuffPost. Autrement dit, Loukachenko s’est montré “prêt à tout” pour réprimer toute contestation possible. ”À tous ceux qui se sentaient en sécurité, Loukachenko a répondu: ‘vous ne l’êtes plus”, ajoute-t-elle. 

À l’heure où la légitimité du pouvoir est de plus en plus érodée, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, ce coup de pression de la part du régime de Loukachenko n’a rien d’anodin. Plus la contestation augmente, plus la répression croît. “Au regard du contexte politique, ce geste n’est pas étonnant”, reprend Alexandra Goujon. Il s’inscrit dans le prolongement du contrôle des réseaux sociaux, outil majeur de la contestation, ainsi que celui des journaux indépendants, à l’image du principal média indépendant TUT.BY, bloqué la semaine dernière par les autorités biélorusses. 

Un pouvoir fragilisé depuis une dizaine d’années

La répression a réellement débuté en août 2020, face à la vague révolutionnaire survenue après la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko avec 80,1% des voix, le 9 août 2020. “Le régime était fragilisé depuis une dizaine d’années, souligne Anne Colin Lebedev, et c’est là qu’il a vacillé. Jusqu’ici, il y avait une certaine acceptation de la population du pouvoir en place”, note la chercheuse. Le président offrait une certaine stabilité d’un côté et une protection de l’autre en échange d’un régime autoritaire. Mais ce contrat tacite passé entre la population biélorusse et le pouvoir en place a été rompu.

Pourquoi le contrat a-t-il “volé en éclats” en août 2020? En raison de l’économie stagnante, de l’appauvrissement de la population et de la gestion “peu rassurante” de la crise du Covid-19 par le président Loukachenko, selon Anne Colin Lebedev. “Pendant l’épidémie, à chaque fois que Loukachenko disait aux Biélorusses: ‘Rassurez-vous, buvez de la vodka pour prévenir la contamination au Covid-19, il n’y a pas de danger’, la population a pensé qu’elle était en danger de mort”, détaille la spécialiste de l’ex-URSS. 

La figure de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa réfugiée à Vilnius, en Lituanie, a également joué un rôle clé dans la consolidation de la contestation. “L’espoir et la contestation ont été rendus possibles par l’arrivée de cette candidate en août 2020”, selon Anne Colin Lebedev. Par ailleurs, en août 2020, le pouvoir a usé de nouvelles méthodes de répression, avec la torture et la violence pour maîtriser les foules. “Cela a choqué la population mais aussi galvanisé les foules et nourri la contestation”, analyse de son côté Alexandra Goujon. C’est donc en réponse à la méfiance grandissante de la population que la répression continue de grandir, montant encore d’un cran ce dimanche.

“L’UE agit avec les moyens qu’elle a mais ses marges de manœuvre sont extrêmement minces, explique Alexandra Goujon. Ce n’est pas elle qui pourra impulser un changement”. Au contraire, selon la maître de conférences, les sanctions européennes pourraient contribuer à enfermer davantage la population biélorusse, et les chances des opposants de partir à l’étranger.

À voir également sur le HuffPost: Des centaines de femmes arrêtées lors d’une manifestation en Biélorussie

 

 

Enregistrer un commentaire

0 Commentaires