Filiation et parents trans: le combat des familles pour être reconnues

Photo d'illustration d'un couple de femmes et leur enfant.

FAMILLES - “Notre situation a provoqué une espèce de ‘gender panic’ à la mairie”, se remémore Ali dans un rire étouffé. En septembre 2019, lui et son époux François se rendent à l’Hôtel de Ville de la commune où ils résident, enSeine-Saint-Denis. Ali doit accoucher dans quelques mois et les deux hommes s’inquiètent de savoir comment sera établiela filiation de leur enfant. Une démarche habituellement simple, mais qui va dans leur cas poser des difficultés.

Ali, qui porte l’enfant, est un homme transgenre (donc né dans un corps de femme avec des organes reproducteurs féminins, ndlr.). Lorsqu’il débute sa transition il y a quinze ans, les personnes trans sont censées être opérées - et donc stérilisées - pour pouvoir bénéficier d’un changement d’état civil. “J’ai réussi à passer entre les mailles du filet”, reconnaît aujourd’hui le papa qui souhaitait ainsi garder la possibilité de porter un jour un enfant. Une décennie plus tard, il s’est lancé dans l’aventure avec François.

Si Ali confie avoir “très bien vécu sa grossesse” et “le regard des autres sur lui”, les angoisses se trouvent ailleurs. “Je me sentais fort et fier, sourit-il. Mais on savait que cette naissance allait poser des questions juridiques, au niveau de l’établissement de la double filiation paternelle”. Ça n’a pas manqué.

En droit français, la filiation est automatiquement établie à l’égard de la mère par l’accouchement et le père bénéficie de la présomption de paternité si le couple est marié. En outre, deux filiations maternelles ou paternelles ne peuvent être établies hors adoption. Mais que se passe-t-il quand la personne qui a accouché est un homme ou que les gamètes dits “mâles” proviennent de la mère?

Un “no man’s land”

Depuis 2016 et la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, les personnes trans peuvent officiellement changer d’état civil sans être opérées et stérilisées. Mais cette évolution du droit n’a pas été accompagnée d’une réforme encadrant ces nouveaux modes de filiation. “Nous sommes l’illustration du silence de cette loi”, estime François. Le gouvernement et le Parlement ont posé une bombe à retardement et elle est en train d’exploser”.

Un impensé qui aurait pu se régler dans le projet de loi bioéthique, dont le vote final à l’Assemblée est prévu ce mardi 29 juin, et qui prévoit déjàune “mini” réforme de la filiation en vue de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Mais malgré les demandes répétées de plusieurs parlementaires, aucun amendement à ce sujet n’a été voté. “On aurait pu éviter beaucoup de contentieux et finalement, on décide de tout renvoyer au juge”, regrette le député LREM Raphaël Gérard.

“On restera dans un ‘no man’s land législatif’ tant qu’il n’y aura pas de projet de loi dédié”, reconnaît la députée de la majorité et co-rapporteure du texte Coralie Dubost, pour qui on ne pourra pas “faire l’économie d’une grande réforme du droit de la filiation et de la famille” dans les prochaines années.

“Dès lors que l’obligation de stérilisation est proscrite, et que les personnes trans peuvent garder leurs organes reproducteurs, c’est que vous pouvez vous en servir. Et si vous pouvez vous en servir, il faut bien établir un lien de filiation”, ajoute la députée. Un “no man’s land” face auquel les officiers d’état civil se retrouvent bien souvent démunis.

Faute de mieux, celle qui avait accueilli François et Ali leur avait proposé que ce dernier soit reconnu comme la mère de sa fille. “Inadmissible”, pour Ali et François. Elle suggère alors que le premier accouche sous X pour reconnaître l’enfant en tant que père et que le deuxième l’adopte par la suite. “C’était scandaleux, gronde à nouveau Ali. Elle n’était pas irrespectueuse, mais on l’a trouvé très fermée avec un argumentaire axée uniquement sur le droit”. Face à leur refus, l’officier d’état civil décide finalement de laisser la procureure trancher.

“Ali ne pouvait pas être déclaré en tant que mère” 

Dans les semaines qui suivent, deux réunions sont organisées entre des magistrats du parquet de Bobigny, le couple et leur avocate, Me Clélia Richard. A la surprise générale, une solution est rapidement trouvée: les magistrats souhaitent établir l’acte de naissance dans une “forme littéraire”. Le but? Eviter d’avoir à inscrire noir sur blanc le genre des parents ou les mentions de “père” et de “mère” (dans l’autre format, dit “rubriqué”, ces mentions sont généralement indiqués noir sur blanc, ndlr).

Dans l’acte de naissance, que Le HuffPost s’est procuré, il est écrit que leur fille “est née (...) de Ali (...), né à XXX, le XXX (...) et de François (...), né à XXX, le XXX (...) son époux (...)”. Les termes de “père” ne sont ainsi jamais stipulés et les informations sur leur genre, masculin, sont implicites. Une première en France. “C’est une décision conforme à la réalité, biologique, sociale et juridique, résume simplement Me Clélia Richard. Elle est conforme au droit, parce que pas contraire au droit”.

Sollicité par Le HuffPost, le parquet de Bobigny assure que la “solution trouvée est en accord avec les termes de la dépêche de la Direction des affaires civiles et du Sceau selon laquelle ‘l’indication du sexe des parents ou des époux ne constitue pas une énonciation figurant sur l’acte de naissance d’un enfant ou l’acte de mariage des époux, mais l’usage d’un format rubriqué peut donner indirectement une indication sur le sexe puisqu’il comporte des rubriques intitulées ‘Père’ ou ‘Mère’ et ‘Epoux’ ou ‘Epouse’”.

“Ce qui m’a surprise, c’est la facilité avec laquelle ça ne faisait pas un pli pour le parquet d’établir la filiation de l’enfant d’Ali, se remémore l’avocate Clélia Richard. Il s’agissait bien de partir du fait incontestable de l’accouchement pour établir le lien de filiation ab initio, mais dans leur tête, Ali ne pouvait pas être déclaré en tant que mère”. 

Sur ce point, le parquet de Bobigny précise que sa décision “tire toutes les conséquences de la décision judiciaire qui a permis à la femme de devenir à l’état civil un homme”, c’est à dire le changement d’état civil d’Ali. “La mention ‘mère’ en regard de son nom dans l’acte de naissance de l’enfant viendrait contredire cette décision”, ajoute-t-il.

Les magistrats ont toutefois un temps envisagé d’inscrire le changement d’état civil d’Ali à la marge de l’acte de naissance. Face au refus catégorique du couple, cette option a finalement été abandonnée.

Une situation “exceptionnelle”?

Les difficultés se sont plutôt portées sur la filiation de François, pour qui la présomption de paternité ne pouvait normalement pas s’appliquer en raison de l’article 6-1 du Code civil, inséré en 2013 avec le mariage pour tous. Il consiste à dire que pour les couples de même sexe, la seule possibilité d’établir une filiation à l’égard des deux parents de même sexe c’est l’adoption de l’enfant du conjoint. Les autres modes d’établissement de la filiation sont de facto écartées, y compris la présomption de paternité.

”C’est dans cette question que se logeaient les différences philosophiques et idéologiques de raisonnement entre le parquet et nous”, souligne Me Clélia Richard, qui confie que “ça a été difficile de rester jusqu’au bout des discussions”. “Pour prendre sa décision, le parquet a regardé Ali et François non pas comme un couple de même sexe, mais comme un couple hétérosexuel dont l’un des deux membres avait effectué un changement d’état civil”, regrette-t-elle. C’est à ce titre qu’ils ont appliqué la présomption de paternité à François. 

“On aurait préféré que la filiation ne soit pas établie à travers l’analogie de l’hétérosexualité et la présomption de la paternité”, souffle François qui regrette que l’acte de naissance” soit fondé sur la biologie et non pas l’intention”.

“On a choisi notre parcours de soins en fonction du parquet”

Un an plus tard, le parquet de Bobigny a appliqué le même raisonnement pour un autre couple d’hommes, l’un transgenre et l’autre cisgenre, Sébastien et Grégoire*. Bien que ne résidant pas en Seine-Saint-Denis, ils ont choisi d’accoucher là-bas pour être suivis dans la même maternité qu’Ali et François et surtout pour bénéficier de la même solution d’établissement de la filiation. 

“On a choisi notre parcours de soins en fonction du parquet”, reconnaît Sébastien. Ça a été une contrainte supplémentaire, mais on voulait assurer le coup”. “On avait la chance d’avoir les moyens financiers et humains de le faire, mais ça a été une période stressante”, abonde son époux. 

Interrogée par Le HuffPost, la Chancellerie reconnaît que cette “situation, assez exceptionnelle”, “n’est pas prévue en tant que telle par la loi” et que “c’est la jurisprudence qui a fixé les règles applicables en appréciant les situations soumises au cas par cas en vertu de la loi et de leur pouvoir souverain d’appréciation”. Elle n’envisage pas pour autant de donner des indications - via des circulaires - aux parquets ou de modifier la loi.

Pour Me Clélia Richard, cette réponse est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. “D’un côté les décisions des juridictions qui ont compris que la filiation de ces enfants devait être établie à l’égard de leurs parents non pas dans le sexe physiologique mais dans l’identité réelle ne seront pas attaquées, estime-t-elle. Mais de l’autre, il n’y a toujours pas de politique générale adressée aux parquet pour ces situations”. 

Conséquence: sans directive claire, un parquet pourrait très bien décider de choisir une autre solution que celle trouvée à Bobigny. “C’est le boulot de la Chancellerie d’éviter cette territorialisation des décisions, gronde Me Richard. “C’est une forme d’injustice et d’inégalité de traitement entre les couples”, abonde Sébastien.  

La position “paradoxale” de la Chancellerie

Claire en a fait les frais. Cette femme transgenre, parent biologique de sa fille, se bat depuis huit ans pour être reconnue comme la mère de sa fille, ce qui lui a toujours été refusé jusque-là. En 2014, à la naissance de son enfant, le parquet de Montpellier lui propose d’être reconnue comme le père de Marie ou de l’adopter, ce qu’elle et sa conjointe, Anne, refusent.

Fin 2018, la cour d’appel de Montpellier lui avait finalement accordé le statut inédit de “parent biologique”. En septembre 2020, la Cour de cassation avait finalement annulé la quasi-totalité de l’arrêt et renvoyé l’affaire à la cour d’appel de Toulouse.

“En l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père”, note la Cour de cassation dans son arrêt.

“Cette décision réaffirme que le changement de sexe à l’état civil ne modifie pas la qualification de la filiation qui en découle et que les règles de filiation reposent sur le sexe physiologique et non sur le sexe inscrit à l’état civil”, analyse quant à elle la Chancellerie. 

Une réponse “paradoxale” pour Me Clélia Richard. “D’un côté la Chancellerie dit ne pas vouloir s’immiscer dans la jurisprudence et de l’autre elle avalise la position violente et transphobe de la Cour de cassation”.

“Le fait de compliquer le parcours de ces couples montre bien qu’on veut les décourager de devenir parents”, estime de son côté le député Raphaël Gérard.

Auprès du HuffPost, le parquet de Bobigny estimait que la “solution” trouvée pour Ali et François ainsi que Sébastien et Grégoire “n’est pas contradictoire avec la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qu’elle ne fait pas référence à la notion de ‘parent biologique’ et par définition ne reprend pas davantage les mentions de ‘père’ et ‘père’ contraires, en l’état, au droit positif”.

“Il faut arrêter de réfléchir par petits morceaux”

Face à cet arrêt de la Cour de cassation, Claire se dit “désabusée”. “On a un peu le sentiment d’être les punching-balls d’enjeux qui nous dépassent complètement”, souffle-t-elle. La nouvelle audience prévue à la Cour d’appel de Toulouse lui donne toutefois un peu d’espoir. En effet, selon ses conclusions auxquelles nos confrères de l’AFP ont eu accès, le ministère public estime que Claire “doit pouvoir figurer sur l’acte de naissance de l’enfant en qualité de mère”. Il souhaite toutefois que la mention du changement d’état civil de Claire apparaisse à la marge.

Le procureur général met en avant dans ses réquisitions l’intérêt de l’enfant pour que la fille du couple puisse “mener une vie familiale normale, conforme à l’identité de genre et à l’état-civil de ses deux parents”. Rien ne dit toutefois que les magistrats du siège suivront ces conclusions.

“Et quand bien même le problème est réglé pour nous, qu’en est-il des autres?, s’inquiète Claire qui envisage désormais avec sa compagne de porter plainte contre l’Etat pour maltraitance sur mineur. Les couples après nous vont-ils devoir se taper huit ans de procédure eux aussi? Il faut arrêter de réfléchir par petits morceaux et avoir une vision globale de la société”.

C’est d’ailleurs ce qui inquiète Chloé et Léa. Les deux femmes, l’une cisgenre qui porte l’enfant, et l’autre transgenre, dont les gamètes ont été utilisées, attendent un enfant pour septembre prochain. “Le cas d’Ali et François nous permet de bénéficier d’une première ouverture légale vers la reconnaissance de notre parentalité”, se réjouit Chloé, qui sait toutefois que ça ne sera pas simple.

“Pendant la première partie de la grossesse, réfléchir à la filiation me prenait toute mon énergie mentale”, reconnaît Léa. Chloé, qui a déjà eu des enfants par le passé, sait la “banalité de cet acte”. “Je trouve extrêmement brutale cette nécessité qu’on nous impose de devoir nous arracher de ce cocon qu’on veut créer autour de notre enfant et de tout de suite nous poser la question de la filiation.” 

“Quand on fonde une famille comme la nôtre, on sait que c’est un acte politique”, estime Chloé qui n’envisage d’adopter son enfant qu’en dernier recours.

“Choisir entre identité de genre et paternité”

D’autres couples préfèrent ne prendre aucun risque et attendent après la naissance de leur enfant pour changer d’état civil. C’est le choix qu’ont fait Sacha et Alec*. D’abord afin de pouvoir se présenter comme un couple hétérosexuel pour avoir accès à la PMA en France, mais aussi pour assurer la filiation de leur enfant.

“Alec a choisi de ne pas faire de changement d’état civil avant la naissance des enfants afin d’être sûr d’être reconnu légalement comme le parent, nous explique Sacha. Conséquence: cela a entraîné des difficultés dans sa vie professionnelle et “administrative” et il sera toujours reconnu comme “la mère” de son enfant.

“Certaines personnes doivent choisir entre vivre leur identité de genre ou vivre leur paternité, regrette Raphaël Gérard, qui dénonce un système “pervers”. ”C’est tout un modèle qu’il faut déconstruire pour sortir de l’idée que la reproduction est forcément sous la couette avec un homme et une femme”, ajoute-t-il.

Et pour toutes ces familles, ce changement de modèle passera d’abord par la médiatisation. “Cela me paraît important d’en parler, confie notamment Grégoire. Nous on a eu de la chance, mais ce serait bien que ce ne soit plus une question de chance, mais que ce soit la norme pour tous”.

*Les prénoms ont été modifiés

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