Le cytomégalovirus, l'infection méconnue qui plane sur les femmes enceintes

Selon le Professeur Picone, “L’état de santé du fœtus est suivi par des échographies régulières, à la recherche de symptômes de l’infection. Parfois, une amniocentèse est également prescrite. À la 32e semaine d’aménorrhée, une IRM est faite pour dépister d’éventuelles conséquences de l’infection à CMV sur le développement du fœtus”.

SANTÉ - Amandine était enceinte de quatre mois quand elle a découvert qu’elle avait été infectée par le cytomégalovirus. “Une IRM fœtale en fin de grossesse a montré que Hector (son fils, NDLR) avait de très nombreuses atteintes cérébrales, nous avons décidé pour son bien-être d’interrompre la grossesse”, raconte-t-elle.

Si pour la plupart d’entre nous, le mois de juin évoque avant tout la fête de la musique, le solstice d’été, fin d’année scolaire, examens, concours... Il s’agit aussi du mois de sensibilisation aucytomégalovirus, le CMV.  

Encore aujourd’hui largement méconnu, le cytomégalovirus est un virus de la même famille que celui du bouton de fièvre, de l’herpès génital ou de la varicelle. L’infection par le CMV est le plus souvent bénigne, peut passer inaperçue, et touche environ 50% de la population. Mais elle peut aussi avoir de graves conséquences lorsqu’elle touche une femme enceinte.  

Une patiente infectée par le CMV ne le transmet que dans environ 30% des cas au fœtus. Lorsque c’est le cas, ce fœtus peut développer de graves malformations, telles que des “troubles de l’audition et dans les formes les plus graves un déficit intellectuel et moteur”, décrit le professeur Yves Ville, gynécologue obstétricien, spécialiste en chirurgie fœtale et en médecine fœtale, contacté par Le HuffPost

Un dépistage pas systématique

Malgré le risque, nombreuses sont les femmes à passer à travers les mailles du dépistage. Outre la méconnaissance du grand public, d’un praticien et d’un établissement à l’autre, l’information, le dépistage et le suivi varient.

C’est par exemple ce que nous confie Karen: “J’ai découvert mon infection aux alentours de 17 semaines de grossesse, après avoir demandé à être dépistée”. De son côté, Anne-Hélène, trois enfants, dont Hermance, polyhandicapée après avoir été infectée par le CMV durant la grossesse de sa mère, s’est même fait déconseiller le dépistage. “Alors que j’étais enceinte de quelques semaines, j’ai vu un document sur le CMV traîner dans mon laboratoire. J’ai demandé à mon obstétricien de faire le test pour savoir si j’étais immunisée et il m’a répondu que cela ne servait à rien, qu’il n’y avait aucun risque et que si j’avais peur du moindre risque il valait mieux ne pas faire d’enfant… belle réponse patriarcale non? Ce jour-là il a choisi pour moi!”, déplore-t-elle.

Alors, selon le professeur Yves Ville, le dépistage sérologique du CMV devrait “être réalisé au premier trimestre pour transformer un risque en opportunité”. Le Professeur Picone abonde en son sens, untest de dépistage systématique devrait même être proposé. Mais ce n’est pas l’avis de laHaute Autorité de Santé qui en 2004 concluait qu’un dépistage n’était pas justifié pendant la grossesse. La HAS recommandait cependant qu’une information concernant les mesures d’hygiène universelle doit être donnée aux femmes enceintes.

Au sein de sa pratique, le professeur Picone privilégie un dépistage tardif, pour écarter les risques ou repousser les examens (échographie, amniocentèse, IRM) et traitements, qui peuvent contribuer à augmenter les inquiétudes et angoisses des futurs parents, déjà stressés par la grossesse en elle-même. 

“Ce protocole peut paraître lourd, voire anxiogène pour certaines patientes, mais c’est aussi un risque à prendre pour éviter des situations dramatiques”, explique-t-il, également expert dans la prise en charge des infections pendant la grossesse et président fondateur duGroupe de Recherche sur les Infections pendant la Grossesse (GRIG).

Symptômes non significatifs

Outre ce facteur stress, et le manque de consensus du corps médical, la difficulté du dépistage du CMV réside également dans le fait de reconnaître ces symptômes, souvent non significatifs. “Le plus souvent il n’y en a aucun chez la femme enceinte. Il peut s’agir d’un syndrome grippal ou d’une ‘crise de foie’”, note le Professeur Yves Ville, qui opère des fœtus in utero.

De fait, seuls les examens peuvent mettre en évidence les séquelles éventuelles sur le fœtus. 

Si dépistage il y a, et une fois le CMV détecté, plusieurs options sont envisageables. “Il n’est justifié de proposer un traitement que si l’infection maternelle a eu lieu au premier trimestre de la grossesse. Le traitement en question est surtout utilisé en cas l’herpès, mais à forte dose, il est efficace pour empêcher l’infection du fœtus ou diminuer sa gravité. Il n’est pas toxique pour le fœtus”, explique le professeur Ville.

Dans d’autres cas, une interruption médicale de grossesse est recommandée et proposée aux parents. 

Grâce aux réseaux sociaux et aux communications dans certains centres de soin, les choses sont en train de changer, et de bonnes pratiques sur les manières de l’éviter commencent à être diffusées.

La meilleure prévention? L’information

Ainsi, dans son ouvrageSage-femme, dis-moi tout, (Ed. Leduc) et deLa vie rêvée du post-partum, paru aux éditions Larousse, la sage-femme Anna Roy, elle-même touchée par ce virus, estime que la meilleure prévention contre l’infection au CMV est l’observation de règles d’hygiène simples, et que devraient prendre toutes les femmes enceintes.

C’est ce qu’elle fait naturellement avec ses patientes. “Ce virus est très fragile et, la plupart du temps, s’en prémunir est très simple, en observant une hygiène très stricte”. Et ce surtout si une femme enceinte n’est pas immunisée contre le CMV et est en contact avec des enfants de moins de trois ans qui fréquentent une collectivité (crèche, garderie). Dans ce cas, mieux vaut (ainsi que son conjoint) ”éviter de les embrasser sur la bouche, bien se laver les mains au savon après s’en être occupé (notamment après avoir changé les couches) ou utiliser une solution hydroalcoolique, laver régulièrement leurs jouets, ne pas goûter les biberons ou sucer leurs couverts, ne pas partager d’affaires de toilettes, ou encore éviter de prendre un bain avec eux (risque de contamination par l’urine)”, conclut-elle.

Ce que s’accorde aussi à dire le Professeur Picone, qui ajoute que malgré les informations de plus en plus, peut-être trop nombreuses au cours de la grossesse, il est très important d’informer les futurs parents des risques d’une infection au CMV. “Cela fait presque 20 ans que plusieurs fois par an, nous intervenons au sujet du CMV, pour former les praticiens, nous communiquons régulièrement sur ce virus, mais au niveau national, il faudrait arriver à promouvoir la consultation préconceptionnelle, lorsque les parents émettent un désir d’enfant. L’infection au CMV sera alors évoquée, des symptômes aux risques, en passant par les traitements et prises en charge”, affirme-t-il.

Karen, de son côté, souhaite aujourd’hui s’engager jusqu’à obtenir le dépistage systématique de la femme enceinte. “J’ai découvert un monde avec cette infection: difficile compréhension des analyses par les parents, manque d’information des médecins, voire volonté de ne pas s’engager dans une démarche d’informations par méconnaissance du virus”.

Amandine, quant à elle, se demande encore si son fils aurait pu naître en bonne santé si elle avait été informée des risques plus tôt et si le dépistage précoce lui avait été recommandé.

Anne-Hélène, qui décrit son impossibilité de choix de dépistage comme “une violence indescriptible” et une prise de position “patriarcale” de son praticien qui lui a refusé ce dépistage, a créé en 2016 l’association CMV. Elle milite pour le libre choix aux parents d’être dépistés.

Pour aller plus loin:

Vous pouvez télécharger l’affiche informative sur le CMV, créé par le site  de l’association CMV.

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