CINÉMA - Une histoire de famille et de cuisine. Ce mercredi 23 juin sort au cinéma le nouveau long-métrage du réalisateur américain Lee Isaac Chung, “Minari”. Le film, très attendu sur nos écrans, a valu à l’une de ses héroïnes, la comédienne sud-coréenne Youn Yuh-jung, le titre du “meilleur second rôle féminin” aux derniers Oscars.
Son histoire, c’est celle d’une famille américaine d’origine sud-coréenne qui, sur la décision d’un père désireux de devenir fermier (Steven Yeun), a quitté la Californie pour emménager dans l’Arkansas. Le fils (Alan Kim), un gamin de 7 ans, va devoir s’habituer à cette nouvelle vie à la campagne et à l’arrivée de sa grand-mère Soonja, une vieille femme aux traditions bien différentes des siennes qu’il n’avait jamais rencontrée.
Découvrez ci-dessous la bande-annonce de “Minari”:
Authentique et émouvant, “Minari” mêle aux disputes entre les parents la vie dans un mobile-home, sur fond de questions d’intégration aux États-Unis d’une famille d’immigrés modeste. Ce décor ne s’est pas monté tout seul, il s’agit du récit autobiographique de son réalisateur, soucieux de recomposer ses souvenirs d’enfance et d’honorer la culture que lui ont transmis ses aînés.
“C’est une plante poétique”
À commencer par son titre. “L’année de son arrivée, ma grand-mère, [qui a quitté la Corée pour venir garder deux gamins chahuteurs au milieu de nulle part parce que leurs parents jonglaient entre un travail à plein temps et une ferme à cultiver], a planté un légume coréen qui, durant des années, a poussé tout seul”, raconte Lee Isaac Chung dans les notes de production.
C’est le minari, un nom donné par les Coréens au cresson. Ladite plante, poursuit le cinéaste, “pousse dans des lieux isolés, des fossés ou des ruisseaux boueux enterrés dans des fourrés. Souvent ses graines viennent de loin, cachées dans les poches des immigrants, qui l’apportent en cadeau à leur famille”.
Il précise: “Le cresson meurt la première année et fleurit l’année suivante. Une fois qu’il prend racine, la terre et l’eau autour de lui deviennent toutes propres. Je le sais. Je l’ai vu pousser.” Son film retranscrit chacun de ces moments. “On voit la plante s’étendre sans qu’on y touche, ajoute le cinéaste dans les colonnes de The Wrap. D’une certaine manière, c’est une plante poétique à mes yeux.”
Des décennies de culture
Au goût, il a une saveur d’herbe et de poivre, capable de vivifier un ragoût de poisson épicé ou d’accompagner un dîner coréen complet, d’après Irene Yoo, fondatrice de Yooeating, une chaîne YouTube qui célèbre la cuisine coréenne. Sur le site de Slate, elle revient sur la longue tradition du minari.
Comme beaucoup d’aliments sous la dynastie Joseon, période de l’histoire en Corée allant de 1392 à 1910, le minari a longtemps été cultivé pour soigner diverses affections comme la fièvre, la déshydratation et l’hypertension artérielle, compte tenu de ses propriétés détoxifiantes. À la cour, il était utilisé pour enrouler les oeufs dans un plat à base de viande et de poivron rouge appelé Minari-ganghoe, toujours cuisiné à l’heure actuelle.
Parce qu’il est riche en vitamines A et B, mais aussi en potassium et calcium, le minari n’a pas perdu de son attrait. Il peut servir, de nos jours, comme remède à la gueule de bois ou de pommade anti-inflammatoire. “Lorsque ma soeur, enfant, a fait de l’urticaire lors d’un voyage à Séoul à cause d’une allergie au poisson, on lui a prescrit une boisson à base de minari en poudre, raconte Irene Yoo. [Il] est censé neutraliser tous les potentiels poisons présents dans le poisson et dans votre système sanguin alcoolisé.”
La journaliste Michelle No s’en rappelle, un peu plus amère. “Toutes celles et ceux qui ont grandi avec une grand-mère ou un parent coréen se souviennent avoir été gavés de ce genre de solutions liquides nauséabondes, sorte de Hanyak [nom donné à la médecine coréenne à base d’herbes, comme le minari, NDLR]. Tu as un rhume? Bois du Hanyak. Tu as des courbatures? Bois du Hanyak, ironise-t-elle chez Buzzfeed. [...] Personne n’aime vraiment en boire, mais les parents ne jurent que par ses pouvoirs réparateurs.”
À toutes les sauces
De son côté, le minari est cultivé en grande partie au sud du pays, mais peut proliférer partout, d’après le personnage de Youn Yuh-jung dans le film de Lee Isaac Chung. Cependant, celui d’un village du nom de Hanjae dans le district de Cheongdo, dont la tige est plus épaisse et violette à son bout, attire, lui, de nombreux gourmands. La récolte, qui s’y fait dès le mois de février, est annonciatrice du printemps. Là-bas, on y installe des grills un peu partout pour permettre aux visiteurs de préparer leur accompagnement au minari, comme le samgyeopsal, de la poitrine de porc grillée.
Dans la cuisine de tous les jours, ce sont généralement les tiges de la plante qui sont utilisées comme légume ou comme herbe. C’est le cas dans le kimichi, mets traditionnel fait de piments et de légumes trempés dans de la saumure, mais aussi dans le bibimbap, un plat à base de riz, de bœuf, de légumes sautés ou blanchis, puis assaisonnés et assortis d’un œuf. Le tout est relevé par de la pâte de piment. Au Japon, où de nombreux citoyens d’origine coréenne vivent depuis des décennies, le minari y est aussi consommé, mais généralement dans un plat qu’on mange l’hiver appelé sukiyaki.
Avant de réaliser son film, Lee Isaac Chung a mobilisé ses souvenirs. Il s’est rappelé de son père et de “ce rêve romantique d’une terre capable de combler toutes les promesses” qu’il avait lorsqu’il s’est installé aux États-Unis. Lui, a pu constater combien la réalité était plus dure. Dans “Minari”, il n’omet pas cette vérité, mais livre, grâce à l’onirisme de la plante ancestrale, un message d’humilité qui ne se limite pas à la fable familiale. Comme le dit Soonja au cours d’une scène avec son petit fils: “Le vent souffle, les minaris s’inclinent comme s’ils voulaient dire merci.”
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