Vaccins contre le Covid: La France et Macron face au "plafond de verre"

Le chef de l'État, Emmanuel Macron, en visite dans un centre d'appel de l'assurance maladie destiné à mobiliser les volontaires pour se faire vacciner.

VACCINS - Avec plus de 16 millions de vaccinés contre le coronavirus, la France fonce droit dans un mur ou plutôt dans un “plafond de verre”, selon l’expression consacrée. Privilégiant la vitesse et l’efficacité au détriment d’autres critères, la campagne vaccinale actuelle laisse sur le bas-côté environ 20 et 30% de la population, selon les études. 

Les premiers à tendre l’épaule étaient les plus enthousiastes. Reste maintenant à vacciner ceux qui traînent des pieds, ceux qui repoussent au lendemain ou ceux-ci s’opposent à l’injection. Les isolés, les éloignés du soin, les plus précaires... des publics qui peinent à s’y retrouver dans la logistique actuelle. 

En l’absence d’obligation vaccinale, une piste que le gouvernement écarte pour l’instant, le gouvernement privilégie les ”pansements”. Quelques spots de communication flambants neufs travaillés selon les préceptes du patron français des sciences comportementales Éric Singler (le dernier datant du 5 juin) et des ajustements arithmétiques (l’ouverture de la vaccination aux ados, l’assouplissement du délai entre deux doses).

Ces techniques sont redoutables lorsqu’il s’agit d’accélérer. Elles ont compressé les réticences, presque deux fois plus élevées au départ. Mais certaines résistances sont plus tenaces que d’autres. Passés les 70% de vaccinés, “le dynamisme de la campagne va se heurter à l’obstacle des hésitants et des opposés à la vaccination”, expliquait l’Académie de médecine dans un communiqué datant du 25 mai. 

Convaincre plutôt que contraindre

Face à eux, Emmanuel Macron préfère “convaincre” plutôt que “contraindre”, misant sur un effet d’entraînement au fur à mesure que la population est vaccinée: “Les gens voient les faits et ont envie de retrouver une vie normale. L’adhésion monte”, affirmait le président, le 3 juin, lors d’un déplacement dans le Lot. Mais l’étau se resserre. Exaspéré par le faible nombre de vaccinés au sein du personnel des Ehpad, Olivier Véran a menacé de rendre la vaccination obligatoire dans ce secteur, lors d’un entretien, ce jeudi 17 juin. 

“La communication et les théories d’économie comportementaliste occupent une place très structurante dans la stratégie du gouvernement”, regrette Henri Bergeron, directeur de Recherche au CNRS et professeur à Sciences Po Paris. En privilégiant une approche centrée sur l’individu (convaincre), le chercheur estime qu’Emmanuel Macron risque de passer à côté de problèmes plus profonds.

“Les déterminants de l’accès au soin, à la prévention sont extrêmement variés, et ne se résument pas à convaincre de simples ‘réfractaires’. On sait par exemple depuis longtemps que la prévention et la médication fonctionnent mieux dans les classes aisées”, poursuit Henri Bergeron.

La couverture vaccinale liée au niveau de vie

Fin mai, “Nos Services Publics”, un collectif de cadre de l’administration et de soignants, a publié une note qui accuse l’État de fermer les yeux sur les disparités générées par la campagne vaccinale: “L’organisation centralisée actuelle est fortement créatrice d’inégalités d’accès à la vaccination (...) Le choix de miser sur une couverture la plus rapide et massive possible a conduit à laisser de côté la question des profils des personnes vaccinées”.

En effet, la couverture vaccinale varie selon le niveau de vie des différents départements français: au 23 mai 2021, les moins de 55 ans étaient deux fois plus vaccinés à Paris qu’en Seine-Saint-Denis, selon les données de l’Assurance maladie. Seulement 52% des diabétiques du département ont été vaccinés, alors que la moyenne nationale se situe à 66%. 

Le taux de vaccination terminée (double dose pour les personnes n'ayant pas contractées le Covid) par département au 13 juin 2021

 

“On se focalise beaucoup trop sur les enjeux de communication”, s’inquiète également Jérémy Ward, sociologue à l’Inserm. Il réalise chaque mois une enquête sur les intentions vaccinales des Français pour les ARS. La dernière, parue en juin, souligne l’importance du profil socio-économique des non-vaccinés. Les réticents sont souvent des personnes peu éduquées ou sans-emploi, peu familiarisées avec le système de soins, peu touchés par le Covid-19, entre 25 et 34 ans.

Ne pas sous-estimer les autres facteurs

Cette enquête nommée Covireivac alerte elle aussi sur le risque de sous-estimer des facteurs autres qu’une “opinion tranchée” qui mérite d’être “convaincue”: “La littérature sur l’hésitation vaccinale montre, paradoxalement, que bien souvent ce ne sont pas les réticences conscientes à se faire vacciner qui expliquent la non-vaccination, mais plutôt les difficultés d’accès aux vaccins (notamment le coût en temps et en effort).”

Conscient de ce problème, le gouvernement a lancé une vaste campagne de vaccination des publics les plus précaires appelée “Aller Vers”: “Les premières équipes mobiles se sont déployées dès le mois de février. Nous sommes maintenant dans une phase plus massive, et le dispositif est en cours de déploiement dans chaque région qui l’adapte en fonction de ses spécificités”, a détaillé au HuffPost le ministère de la Santé. 

Est-ce suffisant? “Entre les très pauvres, qui bénéficient du dispositif  “Aller vers” et les classes moyennes qui vont dans les centres de vaccination, il y a énormément de gens. Ils vivent avec peu de sous, ils sont peu instruits et n’iront pas sur Doctolib. Ces personnes sont pour l’instant complètement ignorées par la campagne. On parle beaucoup des antivax et pas assez des conditions d’accès à la vaccination pour tous ”, s’agace un cadre de la campagne vaccinale préférant rester anonyme pour préserver ses fonctions. 

 

Toujours dans la logique de se rapprocher des publics à vacciner, l’Assurance maladie érige également des stands de vaccination éphémère ça et là, au pied des immeubles ou sur les places du village. Montreuil, Noisy-le-Sec, Bondy ou encore Sevran… beaucoup de quartiers de Seine-Saint-Denis ont le droit à leurs barnums blancs, leurs chaises bleues et leurs infirmiers prêts à dégainer l’aiguille au premier voisin intéressé. Mais ces initiatives restent très sporadiques. Sur la totalité du mois de mars, l’ARS Île-de-France a alloué seulement 50.000 doses pour le “Aller vers”. 

“Sur la stratégie “Aller vers”, nous n’avons aucun objectif chiffré, poursuit le même responsable. Il n’y a pas de pilotage national, hormis pour les très précaires. Et pour le reste du public éloigné du soin? “C’est au bon vouloir des Agences Régionales de Santé et des Caisses Primaires d’Assurance Maladie”. Pour ce dirigeant, il faut préparer dès maintenant la transition vers une campagne fine, destinée à grappiller de précieux volontaires. Sous quelle forme? Peu importe, l’important est de diversifier les actions, pour fournir une alternative à ceux que le système actuel n’arrive pas à attirer. 

“Pour augmenter la couverture vaccinale, il faut aller chercher les publics. Cela implique la mobilisation des acteurs de santé de terrain, à une échelle locale, mais aussi mobiliser des acteurs en dehors du système de santé: secteur social, associations, figures locales, paroisses et mosquées, etc. Je n’ai vu aucun chiffrement sur le “Aller Vers, c’est précisément ce qui m’inquiète”, renchérit Jérémy Ward. Contacté par Le Huffpost, pour préciser le nombre de personnes que le gouvernement souhaite déployer dans le cadre du dispositif “Aller vers”,  le ministère de la Santé dirigé par Olivier Véran n’a pas donné suite.

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