M. le Doyen, en pénurie de médecins, vous sacrifiez la relève avec une épreuve orale bâclée - BLOG

À bientôt 50 ans, je suis le plus “jeune”; d’ici quelques années, cinq ans peut-être, je serai le dernier généraliste. En plus des classiques départs à la retraite, nous avons perdu un confrère dans la bataille contre le covid; un autre est parti pour la province et des conditions d’exercice moins difficiles.

MÉDECINE - Je suis médecin généraliste depuis plus de 20 ans dans une commune semi-rurale de la banlieue ouest de Paris. Nous étions 8 médecins lorsque j’ai commencé à exercer, nous ne sommes plus que 3 et un homéopathe. À bientôt 50 ans, je suis le plus “jeune”; d’ici quelques années, cinq ans peut-être, je serai le dernier généraliste. En plus des classiques départs à la retraite, nous avons perdu un confrère dans la bataille contre le covid; un autre est parti pour la province et des conditions d’exercice moins difficiles.

Des années de réduction successive du numerus clausus ont eu raison du soutien que pouvaient représenter les remplaçants au début de leur activité et raréfié la probabilité que l’un d’entre eux s’installe et remplace un confrère en fin de carrière. Pour les petites communes comme la nôtre, cela rend chaque jour les conditions de travail plus difficiles encore et l’offre d’installation moins attractive. Un cercle vicieux.

Alors, monsieur le Doyen, la désertification médicale, je la vis au quotidien.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!

La désertification médicale au quotidien

Autant dire que j’attends littéralement chaque jour les prochaines générations de médecins. Même plus pour prendre ma relève, mais simplement pour m’aider à maintenir une offre de soins qui se délite. Sans l’avoir jamais poussé dans cette voie, mon fils s’est présenté cette année au concours. Un espoir? Une perspective?

C’était sans compter la réforme des études médicales et l’instauration d’un “grand oral” à l’instar des grandes écoles. La préparation en moins, l’improvisation et la précipitation en plus. Deux séances anémiques d’entraînements par Zoom durant le second semestre dont la dernière, douze jours avant l’épreuve, pour annoncer le changement des modalités de passage.

Et là, l’absurdité est à son comble: un oral basé sur l’interprétation d’une seule et unique figure (un graphique, un tableau). Dix minutes d’interrogation balaieront un an de travail acharné. Pour vous donner un échantillon des sujets: le RSA pour les jeunes, l’écologie… ou encore cet autre sur la barrière de corail (véridique, à Tours cette année).

Censée diversifier le profil des futurs médecins, elle aura raison de mes espoirs par ses conséquences ubuesques. D’autant que l’importance des notes écrites et orales est là encore délirante. Les cours écrits représentent 237 heures de cours pour peser finalement à peine 30% du classement final. De l’autre côté, les 2 maigres webinaires (les grandes écoles ont une vraie préparation à l’examen) impacteront ce même classement final pour 70%!

Réforme précipitée

Les témoignages autour de moi ne manquent pas. Cette année, seulement 520 étudiants seront pris pour médecine à l’université de Paris. Tel étudiant classé 700e après l’écrit finira 327 sur 520 à la suite de ce tirage à pile ou face quand tel autre, avec 13,5 de moyenne générale, mieux placé après un an d’effort et classé 418 régressera à la 760e place. Par ici la sortie.

Partout en France, des voix se sont élevées pour dénoncer la précipitation de la mise en place de cette réforme. De nombreuses universités ont fait preuve de compréhension et ont réintégré les étudiants bien notés durant l’année, mais injustement sanctionnés par cette épreuve bâclée. Aix-Marseille a même procédé à l’ouverture de 123 places supplémentaires. À Paris, il ne s’agit que d’une trentaine de places après tout. Pas de quoi engorger le système éducatif médical. À ce jour, aucun geste de la part de l’université. Malheureusement pour moi. Et ce n’est pas seulement le père qui parle, mais le professionnel de santé.

Devant la précipitation de la mise en place de cette réforme, un collectif s’est monté afin de mettre en place une pétition et de porter l’affaire devant la justice. Mais les “grandes vacances” et le peu de temps qu’il reste avant la rentrée ne me laissent guère optimiste.

Et la relève?

Je suis passé par ce concours. J’accepte la sanction du classement. Pas ce simulacre de sélection à pile ou face. Je me sens aujourd’hui écœuré par la façon dont est gérée l’application de cette réforme et la rigidité qui aura sacrifié cette génération d’étudiants. Écœuré et trahi par ceux-là mêmes qui sont censés soutenir ma pratique et ma relève. Sur ma plaque, à l’entrée de mon cabinet, j’arborais fièrement d’être issu de la faculté de médecine de Paris. C’est tout naturellement que le choix s’est porté sur elle à l’heure de transmettre le flambeau.

Si mon fils avait su.

Si vous êtes parents et que votre enfant s’oriente vers des études de médecine, en tout premier, remerciez-le pour moi, il ou elle est plus qu’attendu(e), mais plus important encore, réfléchissez bien où vous l’inscrirez. Tout le monde n’offre pas les mêmes chances.

Vous êtes peut-être parent ou simplement concerné par la désertification médicale, aidez-nous en signant cette pétition. C’est une véritable course contre la montre.

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