Au Liban, un an après l'explosion du port de Beyrouth, le fiasco est sans appel

Une vue générale du port de Beyrouth et de la sculpture commémorative d'une figure géante faite à partir des débris de l'explosion de l'été dernier, le 3 août 2021 à Beyrouth, Liban. Un an après, les enquêtes et la reconstruction menées par le gouvernement libanais n'ont pas progressé, tandis qu'une famille sur trois au Liban a des enfants présentant encore des signes de traumatisme, selon le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF).

À la veille du tragique anniversaire de l’explosion du Port de Beyrouth, le Président du Liban vient de désigner un nouveau Premier Ministre, Najib Mikati, richissime homme d’affaires qui devrait, en ce moment-même, être à la tâche pour former un gouvernement. Il reprend le pays dans l’état dans lequel Saad Hariri l’a laissé, la crise sanitaire ayant, depuis, encore dégradé les conditions de vie des Libanais.

Nos institutions internationales singent le fonctionnement des réseaux sociaux

La France, l’Europe, plus globalement la communauté internationale n’ont pas pu trouver de solution à la crise libanaise, se heurtant au mur du refus des dirigeants niant tout changement dans leur fonctionnement totalement anachronique, préférant privilégier leur situation et les systèmes de corruption mis en place depuis tant d’années. 

Extraordinaire et terrifiant de constater que nos institutions internationales singent le fonctionnement des réseaux sociaux et de la télé-réalité, prompts à s’émouvoir, disparus avec les dernières caméras et l’arrivée d’une nouvelle catastrophe.

L’immédiateté, la diplomatie des conférences, la diplomatie du “coup de menton” montrent leur inefficacité criminelle, au Liban comme ailleurs. Que de larmes de crocodile seront versées le 4 août et séchées dans la minute, laissant les familles éplorées dans le même désarroi, réel celui-là. 

Un anniversaire c’est d’abord un bilan et des vœux.

Le pays laissé à l’abandon avec des solutions de bouts de ficelle

Faute de capacité de former un gouvernement, le pays a été laissé à l’abandon avec des solutions de bouts de ficelle, celles qui font que les Libanais n’ont pas, par exemple, de service continu d’électricité, de moyens appropriés de collecte et d’élimination des déchets et peinent avec tant d’autres problématiques de la vie quotidienne. 

Aucun progrès sur le plan institutionnel et pas davantage sur le plan judiciaire pour juger des responsables de la tragédie qui a coûté la vie à 218 personnes et fait plus de 6500 blessés.

Rien non plus sur la récupération des biens mal acquis et des fonds détournés par des années de corruption à tous les niveaux, le tout sur fond de crise sanitaire. Vraiment, l’image de ce pays que nous aimons et qui a tant de signification pour le monde est terrifiante. Que faire? C’est aux Libanais de prendre leur destin en main, alors que leurs dirigeant historiques sont empêtrés dans des querelles et des arbitrages religieux d’apothicaires: comme souligné dans un article l’an dernier, le confessionnalisme et la corruption ont eu raison de la Suisse du Moyen Orient.

Faire la manche auprès des Saoudiens

Pour compléter ce naufrage, plutôt que de récupérer les fonds sagement calfeutrés dans des coffres français, suisses ou luxembourgeois, et comme preuve de la totale disparition de la plus petite once de souveraineté des responsables libanais, l’ambassadrice de France et celle des États-Unis ont été missionnées, il y a quelques semaines à Riyad pour faire la manche auprès de responsables saoudiens qui ont déjà beaucoup contribué et ce au risque de créer des tensions locales fortes avec le Hezbollah pro-iranien.

Anne Grillo et Dorothy Shea, à Riyad, voulaient, on le devine, pousser le Royaume à soutenir financièrement le Liban exsangue “pour faire pression sur les responsables du blocage”, comme indiqué dans un communiqué publié mercredi par l’ambassade de France. Beaucoup de Libanais ont considéré, à juste titre, cette démarche comme une humiliation de plus. 

Le pays courageux survit, et les Libanais au jour le jour oscillent entre colère et résignation. Le Liban donne cette impression de sombrer en direct, sous nos yeux, comme le Titanic. Lentement mais sûrement. 

Le nouveau Premier ministre Mikati

La nomination d’un nouveau Premier ministre, le millionnaire Najib Mikati, va-t-elle permettre de stopper l’agonie à laquelle nous assistons, impuissants? Sans mauvais jeu de mots, Najib Mikati est en face d’un mikado géant, chaque faction des politiciens libanais, représentée par une petite baguette en équilibre fragile, garantie la stabilité très temporaire du tout. Effleurer une baguette, même d’une main tremblante, pouvant faire effondrer l’ensemble et faire perdre la partie. Et c’est bien de cela dont il s’agit, ne pas avoir la main tremblante. D’une main ferme choisir les bons acteurs et déterminer un programme fort qui donnera confiance aux Libanais épuisés, alors que des conseillers étrangers pullulent dans le pays, font et défont les alliances.

Le Premier ministre doit faire des annonces et engager immédiatement des réformes. Son prédécesseur Hassan Diab n’a pas pu venir à bout de l’inertie du système, lui qui avait, pourtant, déclaré la guerre à la corruption.

Najib Mikati doit réussir. Peut-être en annonçant, par exemple, la création d’une haute autorité indépendante du gouvernement, en charge de la reconstruction et de la lutte contre la corruption. Une première étape serait d’organiser la transparence de la vie politique sur le modèle de la réglementation française, comme le demande le lanceur d’alerte Omar Harfouch très impliqué dans l’avènement d’une Troisième République laïque.

Coopérer avec la France pour créer une autorité de la transparence au Liban?

Il n’est pas douteux que Didier Migaud et ses services seraient ravis de coopérer à la constitution d’une autorité de la transparence au Liban. Transparence dans la vie publique c’est aussi transparence dans l’administration et surtout dans la myriade de structures qui bénéficient des aides internationales dont personne ne contrôle la destination finale. 

Que dire de plus que ce qui a été dit et écrit depuis des mois et des années puisque rien, absolument rien n’a bougé, les conférences CEDRE et autres n’ont eu aucun effet sur le quotidien et le fonctionnement du pays, ce n’est que cautère sur jambe de bois.

La communauté internationale et la France en particulier devraient apporter leur concours aux actions de l’association Sherpa, qui piste les biens mal acquis et a engagé, récemment, une action contre le directeur de la banque centrale libanaise pour soupçons de détournement.

Cette défiance à l’égard des politiques a été exprimée après l’explosion du port de Beyrouth; nombreux, en fait unanimes, ont été les Libanais qui ont mis en garde les bailleurs internationaux pour que l’aide internationale promise ne soit pas détournée, préférant qu’elle ne fusse pas versée.

Tout ceci est bien désespérant pour les amis du Liban et pour les Libanais qui ont des solutions à proposer et qui voient leur pays sombrer, leurs concitoyens riches devenir plus riches et les pauvres devenir plus pauvres.

Ce n’est pas un jugement, c’est une constatation que beaucoup ont en partage.

Certes de telles situations se sont produites dans le monde, en Afrique, en Asie, plus loin de nous, justifiant à tort ou à raison notre silence, mais aujourd’hui personne ne peut rester indifférent à ce spectacle en direct de l’agonie d’un pays ami et indispensable à l’équilibre régional et au monde.

Le Liban, berceau de la civilisation et de l’écriture, est victime d’un système à bout de souffle et, pour paraphraser le Président Chirac grand ami du Liban, la maison Liban brûle, et nous regardons ailleurs.

En réalité nous ne regardons pas vraiment ailleurs, mais le résultat est tout aussi navrant.

En ce 4 août, ayons une pensée pour les victimes et leurs familles, elles nous obligent. Puisque nous avons été les spectateurs effarés du drame qui les a frappés, essayons collectivement d’être acteurs de solutions pour qu’un tel désastre ne se reproduise pas et que justice leur soit rendue.

 

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