CINÉMA - “La singularité de ‘The Father’, c’est de mettre le spectateur dans une position assez unique, comme s’il était lancé dans un labyrinthe”. Le long-métrage de Florian Zeller, adapté de sa pièce à succès “Le Père” et depuis doublement oscarisé, sort au cinéma ce mercredi 26 mai. Et promet de faire perdre tous leurs repères à ceux qui iront le voir en salle.
Car “The Father” raconte bien plus que l’histoire d’un homme de 81 ans atteint de démence sénile (Anthony Hopkins) qui vit aux côtés de sa fille (Olivia Coleman) aimante mais épuisée. Il met le spectateur dans la tête du vieil homme qui perd peu à peu pied avec la réalité. “J’avais la conviction que le cinéma permettrait d’atteindre cette expérience très intérieure de ne plus savoir où se situe le réel”, se souvient Florian Zeller lorsqu’on le rencontre à Paris, sa statuette dorée entre les mains. “Je voulais que mon film soit une expérience de perte de repères, plus immersive et plus troublante qu’au théâtre, et donc plus émouvante.”
Un labyrinthe mental
Pour ce faire, le dramaturge de 41 ans qui réalise là son premier film s’est livré à un “travail de déconstruction” de l’espace comme du temps. Si tout dévoiler du scénario desservirait le plaisir de découvrir “The Father”, on ne peut que vous conseiller de prêter particulièrement attention aux décors des pièces de l’appartement dans lequel vit le personnage d’Anthony Hopkins.
“En général le décor, c’est une façon de fournir un arrière plan à une histoire. Mais je voulais que cet arrière-plan soit une des lignes principales de la narration”, explique Florian Zeller qui a dessiné le plan de cet appartement au même moment où il écrivait le scénario. Au fur et à mesure des scènes, les couleurs des murs changent, des meubles se déplacent, et on commence à se demander si ce qu’on voit est réel ou si le cerveau d’Anthony nous joue des tours.
“On croit que l’on sait où l’on est, mais petit à petit il y a des détails qui changent. On ne les voit parfois pas, mais on sent que quelque chose s’est passé, de telle sorte qu’on en vient à douter”, décrit le réalisateur. Alors petit à petit tout devient anxiogène, et le film vient à lorgner du côté du thriller psychologique, voire de l’horreur.
Parfois, deux scènes se suivent et semblent pourtant en contradiction chronologique absolue. À d’autres moments, quelqu’un sort par une porte, et c’est un autre qui entre dans la pièce d’à côté. “Je voulais que le spectateur soit obligé de gérer ces contradictions, qu’il y ait des choses qui grincent dans la cohérence des scènes et que ça devienne une sorte de labyrinthe mental”, poursuit encore Florian Zeller.
“Donner le sentiment de l’égarement”
Mais loin de lui l’envie de perdre “gratuitement” le spectateur de son film. Derrière ce jeu de mise en scène et d’écriture, le Français parvient à nous faire ressentir l’égarement et ces “sensations effrayantes” que vivent les personnes âgées atteintes de confusion mentale. Et aussi à tracer “un chemin pour créer de l’empathie avec des personnes qui sont parfois cruelles, violentes sans que l’on comprenne vraiment pourquoi.”
Une expérience à laquelle Florian Zeller a lui-même été confronté lorsque sa grand-mère qui l’élevait a souffert de démence sénile. “J’ai été dans cette position d’aimer profondément quelqu’un qui devient un peu quelqu’un d’autre et de sentir que cet amour ne suffit pas”, raconte avec pudeur celui qui espère avoir réussi, avec son scénario, ”à trouver un endroit où les émotions qu’on porte tous en soi peuvent se rencontrer”.
À la sortie des représentations de la pièce “Le Père” en France, en Angleterre comme à Broadway, il arrivait souvent que des spectateurs l’attendent pour partager leur propre histoire, “comme si un dialogue s’engageait à travers ce texte”. Bouleversé de voir ”à quel point on est tous frères et sœurs dans cette destinée douloureuse”, Florian Zeller n’a jamais quitté l’envie d’en faire un film pour y ajouter cette “expérience immersive”. En résulte ce long-métrage complexe, perturbant et d’une grande justesse, dont on sortira difficilement sans essuyer quelques larmes.
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