Comme dans "HPI" sur TF1, la police fait-elle vraiment appel à des consultants?

Marie Denarnaud et Audrey Fleurot dans la série

SÉRIES - Dans le premier épisode de la série “HPI” sur TF1, Morgane, femme de ménage dans les bureaux de la police judiciaire de Lille, fait tomber un dossier et débloque une enquête rien qu’en regardant quelques photos. Haut potentiel intellectuel doté d’un QI de 160, le personnage d’Audrey Fleurot est embauché comme consultante par le commandant d’équipe. 

“Quand je vois une énigme, hé ben je dois la résoudre sinon je ne peux pas dormir, je n’ai pas le choix”, lance ce personnage haut en couleur qui avoue avoir “un problème avec l’autorité”. Et si elle bouleverse les méthodes de travail de l’équipe de la PJ, cette mère célibataire de trois enfants résout avec une facilité déconcertante les enquêtes en observant tous les détails d’une scène de crime et en se mettant à la place des différents protagonistes. Le tout sous les yeux de quelque 10 millions de téléspectateurs chaque jeudi soir depuis le 29 avril.

C’est loin d’être la première fois que la fiction s’amuse à former un binôme atypique entre un policier et une femme ou un homme doté de compétences extraordinaires (et plus ou moins réalistes). Dans la série “Astrid et Raphaëlle” de France2, Astrid est une archiviste présentant un syndrome d’Asperger; dans “Médium”, Allison DuBois communique avec les morts et dans “Hannibal”, Will Graham est un “agent spécial” doté d’une forme d’empathie extrême. Sans oublier le “mentaliste” Patrick Jane au service du CBI dans la série du même nom. Mais dans la réalité, la police fait-elle aussi appel à des consultants comme on le voit à l’écran?

″Ça n’arrive pas”

“La réponse est plutôt non”, affirme d’entrée Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au CESDIP, lorsqu’on l’interroge. “Les enquêtes se font dans un cadre juridique très précis, et sous la direction d’un procureur. Il faut être agent de police pour y participer, et il n’y a donc pas de participation de civils à des actes d’enquête. À ma connaissance, embaucher des gens comme consultant, ça n’arrive pas.”

L’auteur de Que fait la police? Le rôle du policier dans la société évoque néanmoins quelques exceptions spécifiques. “Il arrive qu’on demande l’éclairage d’un ou d’une professionnelle sur certains actes, comme un psychiatre ou un psychologue sur une enquête d’un tueur en série à la façon des profilers du FBI”, cite-t-il. “Ou encore qu’on fasse appel à un traducteur ou un interprète pour participer à une enquête” si l’une des personnes entendues s’exprime dans une autre langue.

Aux États-Unis, des documents déclassifiés de la CIA attestent que l’agence de renseignement a mené dès les années 1970 des travaux sur le paranormal et les phénomènes psychiques. Le projet “Stargate” s’intéressait plus particulièrement à la “vision à distance”. “Des médiums furent ainsi chargés de localiser Kadhafi avant le raid américain sur la Libye en 1986, de déterminer l’emplacement de tunnels creusés par les Nord-Coréens, de rechercher l’endroit où ceux-ci dissimuleraient du plutonium et de localiser, un peu partout à travers le globe, des personnes disparues”, décrivait Libération. Après avoir englouti 20 millions de dollars en vingt ans, le projet a été fermé en 1995 faute de preuves documentées de son efficacité.

“Dans le monde du renseignement, on ne s’interdit pas d’expérimenter des choses”, commente Mathieu Zagrodzki. Mais voir une femme de ménage devenir du jour au lendemain consultante sur une série d’enquêtes de la PJ est impossible aux yeux de cet expert de la police. Contacté par Le HuffPost à ce sujet, le service d’information et de communication de la Police nationale n’a pour l’instant pas répondu à nos questions.

L’équation gagnante de “HPI”

François Jost, chercheur et professeur à Paris 3 où il enseigne l’analyse de la télévision et la sémiologie audiovisuelle, a étudié les séries policières et atteste de “l’extrême récurrence” des figures de consultants - du profiler au médium. “C’est un vieux rêve de l’humanité d’avoir la capacité de se mettre dans la tête de quelqu’un et donc de déduire des actions à partir de là”, analyse-t-il pour Le HuffPost.

Parmi des exemples plus anciens de ces “personnages qui enquêtent par empathie”, il évoque la série “Profiler” (1996) ou “The Inside” (2005). Avec le point commun que tous ont vécu en tant que victimes des situations proches des meurtriers sur lesquelles ils enquêtent. Et cela se confirme dans “HPI”: si le personnage de Morgane envisage mal de travailler avec “les poulets”, elle accepte en échange de leur aide sur l’enquête de la disparition du père de sa fille il y a une dizaine d’années. 

“Le profilage criminel est une technique qui existe, néanmoins les enquêteurs psychologues qui le pratiquent ne sont pas obligés d’avoir vécu les mêmes expériences traumatiques que les criminels pour reconstituer leur parcours mental. Encore moins de revivre dans une sorte de transe la scène du crime!”, note François Jost dans un article des Cahiers de la sécurité et de la justice.

Malgré cet écart entre les méthodes d’investigation de Morgane et celle de la police dans la réalité, la série n’a pas manqué de convaincre les téléspectateurs de la chaîne. Avec “HPI”, TF1 signe d’ailleurs sa meilleure audience pour une fiction maison depuis 14 ans. “Les scénarios policiers nous tiennent en haleine, ils touchent à l’inhabituel, au danger et aussi à une succession de rebondissement de mystères qu’on se plaît à essayer de résoudre nous même”, avance Mathieu Zagrodzki.

Le directeur de la revue “Télévision” abonde: “La série policière c’est l’essence même du récit. Ça part de quelque chose de caché, d’occulté, et tout l’objectif est le découvrir en décodant des indices et en affrontant des obstacles”. Ajoutez à cela la “catégorie sociale de l’héroïne qui est d’ordinaire peu représentée à la télévision” et ce pouvoir dont rêve tous de “se mettre dans la tête des gens”, et voilà l’équation du succès de “HPI” résolue. 

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