Les mineurs non accompagnés, oubliés de la protection de l'enfance

Un jeune garçon dort, le 12 novembre 2002 à Taverny, dans un lieu d'accueil et d'orientation (LAO) pour mineurs étrangers isolés, arrivés à Roissy sans titre de séjour.

ENFANCE - Le projet de loi visant à améliorer le sort des mineurs confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) arrive ce mardi 6 juillet devant l’Assemblée nationale. Parmi les sujets qui ont fait débat en commission, l’hébergement et le statut des mineurs non accompagnés (MNA), enfants étrangers et isolés sur le territoire français, souvent considérés comme les oubliés de la protection de l’enfance.

“Nous allons inscrire dans la loi l’interdiction du placement des enfants dans les hôtels”, promettait en janvier dernier Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles, sur France 3, lors d’un débat diffusé après une enquête de “Pièces à conviction” sur les défaillances de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Le reportage en question, intitulé “Enfants placés, les sacrifiés de la République”, dressait alors un constat accablant des dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance. Parmi lesquels, le placement de mineurs seuls à l’hôtel, pendant des jours, des semaines, voire des mois.

“Le placement d’enfants dans des hôtels de fortune est une pratique courante et ne date pas d’hier, déplore auprès du HuffPost Léo Mathey, du réseau associatif Repairs, qui regroupe d’anciens enfants placés. Les départements y ont recours faute de création de structures d’accueil adaptées et de familles d’accueil en nombre suffisant.” Mais la loi va-t-elle finalement changer la situation? Le doute est permis.

Entre 7500 et 10.500 mineurs

Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) datant de janvier 2021, entre 7500 et 10.500 mineurs seraient concernés, 95 % étant des mineurs isolés étrangers, dits “mineurs non accompagnés” (MNA). Ce rapport a été initié par Adrien Taquet après le meurtre, en décembre 2019, d’un adolescent de 17 ans confié à l’ASE, par un jeune de 15 ans, tous deux placés dans un hôtel de Suresnes (Hauts-de-Seine).

“On est sur un écart de 3000 enfants quand il s’agit de quantifier l’ampleur des placements hôteliers... s’agace Léo Mathey. Au-delà du chiffre, il s’agit souvent d’enfants qu’on appelle - à tort - des ‘enfants incasables’, qui ne seraient soi-disant pas adaptés au système.” Dans son rapport, l’Igas parle de “cas complexes”, des “enfants en grandes difficultés ou à difficultés multiples confiés à l’ASE, présentant pour certains de forts troubles du comportement qui se traduisent par des ‘passages à l’acte’.”

Placés à l’hôtel dans l’urgence, ces mineurs se retrouvent livrés à eux-mêmes, dans des établissements insalubres et non sécurisés. “Ce sont des hôtels sinistres, qui n’ont plus leur agrément pour pouvoir être catégorisés ‘tourisme et loisir’ et qui se recyclent en hôtels sociaux”, développe Agathe Nadimi, présidente de l’association “Les Midis du Mie”, collectif solidaire qui vient en aide aux MNA à Paris. “Ce ne sont pas des hôtels Accor, ce sont des hôtels insalubres où les enfants sont confrontés à l’humidité, aux cafards, aux traces sur les draps, au froid... C’est une situation quasi-humanitaire”, abonde Léo Mathey.

Et sans encadrement ou presque. “Lorsqu’un enfant est placé à l’hôtel, son seul référent est l’éducateur de l’ASE, qui gère 40, 50 voire 60 dossiers d’enfants en même temps, souligne-t-il. Dans le meilleur des cas, l’enfant le voit toutes les deux semaines. Mais l’intervalle peut aller jusqu’à deux ou trois mois.”

Comme pour tout ce qui touche à la protection de l’enfance, la situation diffère selon les départements. “Dans le 93 ou d’autres départements, les gamins ne voient personne, appuie Agathe Nadimi. Ils sont mis à l’hôtel et au bout de 6 mois, ils ne savent toujours pas qui est leur référent, ils n’ont vu personne.”

“Le texte n’interdit pas le placement hôtelier”

L’entourage du ministre avait précisé en janvier dans Le Monde que l’interdiction de l’hébergement en hôtel ne souffrirait que d’“exceptions très encadrées”; était notamment évoquée la courte période durant laquelle l’âge des mineurs isolés étrangers est en train d’être évalué. Or, dans le projet de loi, des exceptions seront permises “pour répondre à des situations d’urgence ou assurer la mise à l’abri des mineurs”. Une formulation qui, pour l’opposition, manque de précision. En commission, les députés ont restreint cette possibilité à une durée de deux mois, une fois les mineurs pris en charge par l’ASE. 

“Au lieu de l’interdire, le gouvernement donne une base légale au placement à l’hôtel, regrette Léo Mathey. Qui va venir contrôler que la durée est respectée? Est-ce qu’on informera les enfants de leurs droits et des recours possibles si les deux mois ne sont pas respectés? Et puis deux mois, cela suffit pour décompenser et péter une durite.”

Pour Agathe Nadimi, du collectif “Les Midi du Mie”, cette durée de deux mois n’a en effet aucun sens. ”Ça veut dire qu’on se soucie d’un délaissement sur du long terme, on peut dire que c’est mieux que rien, reconnait-elle. Mais pour ces enfants qui sont très fragiles, des mauvaises rencontres ou un embrigadement par des réseaux, cela peut se jouer en une nuit, deux jours ou quatre jours!” 

Rien n’est précisé dans le texte quant à la nature des hôtels ou les conditions d’hébergement. “Aucun listing d’hôtels n’est demandé par les départements. Et ce sont des lieux privés, qui ne peuvent donc pas faire l’objet de contrôles”, insiste Léo Mathey.

Dans un avis sur le projet de loi, la Défenseure des Droits estime que “le recours à ces structures reste possible pour des accueils en urgence ou des “mises à l’abri” de mineurs. Cela risque de ne pas régler ce problème.” Ce que demandent les associations, ce sont des dispositifs de mise à l’abri comme des foyers “avec un encadrement éducatif et un vrai suivi rapproché des jeunes”, rappelle Agathe Nadimi, du collectif “Les Midis du Mie”.

Le fichage des mineurs isolés

Une autre disposition du projet de loi risque d’animer les débats, concernant les mineurs étrangers isolés: le recours obligatoire pour les départements au fichier national AEM (“appui à l’évaluation de la minorité”), qui répertorie ces jeunes afin notamment de repérer plus facilement ceux ayant déposé des demandes de protection dans plusieurs départements.

Une mesure qui va à l’encontre de la “présomption de minorité” défendue par les associations. Selon l’Unicef, ce fichier biométrique pourrait faciliter l’expulsion des jeunes étrangers concernés avant même qu’ils aient pu exercer un recours en cas de refus provisoire de prise en charge​.

Dans son avis, la Défenseure des droits fait part de ses “profondes inquiétudes quant aux dispositions contenues dans cet article, qui tendent davantage à traiter du contrôle migratoire qu’à une réelle amélioration de la protection des mineurs non accompagnés.” “On considère les étrangers autrement que comme des gamins à protéger, conclut Agathe Nadimi. Déjà, le fait qu’il existe des dispositifs d’évaluation de la minorité des mineurs étrangers, cela dit tout. Ce n’est pas de la protection, c’est du découragement.”

En commission, plusieurs députés se sont indignés de ce fichage, qui serait “une atteinte au principe d’universalité des droits de l’enfant et de non-discrimination, telle que posée par la Convention nationale des droits de l’enfant.”

“Cet article traite des flux migratoires, en rien de la protection des MNA”, a dénoncé le député ex-LREM Guillaume Chiche, qui a notamment déposé un amendement pour la “suppression de la possibilité d’effectuer des tests osseux pour déterminer si une personne est mineure ou majeure.” 

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