Une sélection de 8 bandes dessinées pour vos lectures d'été

BANDE DESSINÉE - C’est l’été! Voici une sélection de 8 bandes dessinées pour lire en vacances le meilleur de la production franco-belge, japonaise et américaine du moment! 

Goodnight Paradise, Joshua Dysart & Alberto Ponticelli (Panini, 176 pages, 20 euros)

Eddie erre toute l’année sur Venice Beach, à l’ouest de Los Angeles. Il appartient à la cohorte de centaines de sans-abris qui ont élu domicile sur cette célèbre plage où ils se mélangent aux joggers, aux riches salariés de la webtech et aux touristes. Eddie trouve un jour dans une benne à ordure le cadavre d’une jeune fille venue de l’Utah, croisée la veille sur la plage aux bras d’un ami à lui. Obsédé par sa mort, qui symbolise pour lui le mal que subissent chaque jour ses pairs, Eddie se lance dans une enquête pour trouver son assassin.

Au-delà de ses qualités de pur thriller, Goodnight Paradise étonne par sa construction en récit choral autour d’un jeune noir homosexuel, d’un suprémaciste blanc, d’un SDF alcoolique au grand cœur, d’une jeune fugueuse et de plusieurs clochards célestes résidant sur la plage. En se plaçant du côté des plus faibles - ceux que l’Amérique efface de son histoire officielle - et en racontant toute l’album de leur point de vue, Joshua Dysart et Albert Ponticelli offrent une BD enthousiasmante. De loin, d’une des meilleures ayant traversé l’Atlantique cette année. 

J’ai Tué le Soleil de Winshluss, (Gallimard BD, 200 pages, 22 euros)

Winshluss suit un chemin passionnant. L’auteur de bande dessinée dont la carrière a débuté dans la revue Ferraille (qu’il a dirigée) a développé un style personnel nourri d’humour noir parfois très trash. Deux ans après avoir co-réalisé le film “Persepolis” auquel il a su insuffler sa personnalité à côté de celle - pourtant très forte - de Marjane Satrapi, Winshluss a obtenu le plus prestigieux des prix pour une BD (le Fauve du meilleur album à Angoulême en 2009, pour son Pinocchio). Après plusieurs autres albums et quelques films (courts et longs métrages) Winshluss revient aujourd’hui dans les librairies avec un roman graphique violent et grinçant, qui est sans doute son meilleur depuis Pinocchio.

J’ai tué le soleil raconte la vie de Karl, un homme qui a perdu la mémoire, dans un monde post-apocalyptique. Muni d’un sac à dos et d’un fusil, Karl part à la rencontre des autres survivants et à la recherche de ses souvenirs. La BD est construite en deux parties distinctes : d’abord classique dans sa description d’un univers post-apo déclenché par une épidémie, la narration prend un virage dans la seconde moitié, surprenante dans sa façon de détourner le genre. Provocant comme jamais, Winshluss alterne séquences en noir et blanc haletantes et moments de respiration en couleur, pour amener le lecteur au K.O.

J’ai Vu les Soucoupes de Sandrine Kerion, (La Boîte à Bulles, 128 pages, 19 euros)

Alors que le complotisme semble devenir un peu plus chaque jour la tumeur maligne de nos démocraties, J’ai vu les soucoupes propose un retour en arrière sur une théorie ancienne : la croyance dans un plan secret des gouvernements pour cacher l’existence des extra-terrestres à leurs populations. Cette idée farfelue faisait dans les années 1990 le miel de la série télévisée “X-Files” et avait dans le monde réel de nombreux adeptes. Sandrine Kerion, adolescente à cette époque, bascule alors dans des croyances ésotériques et “fait ses propres recherches” pour se convaincre de l’existence du complot. Vingt ans plus tard, elle livre son témoignage dans une bande dessinée qui raconte comment elle a basculé dans l’irrationalité.

Cette plongée intime, remarquable par son honnêteté pour raconter la construction d’une pensée insensée, est très didactique. Elle peut se lire à la lumière des croyances d’aujourd’hui sur les vaccins, QAnon ou les Illuminatis, ainsi que l’explique une postface lumineuse du sociologue Pierre Lagrange. Le conspirationnisme est la rencontre d’un fait social et de biais cognitifs intimes, souvent liés à une souffrance personnelle.

The Worst of, The Suicide Squad, collectif (Urban Comics, 472 pages, 35 euros)

Dans l’univers des super héros, un film sorti en 2016 a appris à beaucoup de gens l’existence du Suicide Squad, l’équivalent de la Ligue de Justice mais avec des méchants. Problème : le long métrage était, à tous les niveaux, absolument catastrophique. Pourtant, un univers cinématographique mettant à l’honneur Harley Quinn, Deadshot et Killer Croc promettait d’être fantastique. Un nouveau film reprendra tout à zéro, hormis l’actrice incarnant Harley Quinn (Margot Robbie), cette fois sous la houlette de James Gunn qui a fait ses preuves chez la concurrence en mettant en images Les Gardiens de la Galaxie pour Marvel.

Pour en accompagner la sortie au cinéma (le 4 août), une toute nouvelle anthologie est publiée chez Urban Comics : The Worst of Suicide Squad, qui compile les meilleures apparitions des personnages du film : Javelot, Ratcatcher, la Fouine, Polka-Dot-Man et surtout King Shark, le personnage qui dans la bande annonce évoque les pires séries Z des années 1980. Le chapitre qui évoque l’homme-requin démarre d’ailleurs par une partie de beach volley nudiste, ce qui pose le niveau. L’enchaînement d’épisodes initialement publiés entre 1987 et 2016 semble laisser croire que beaucoup de ces personnages ont offert chez DC Comics une sorte d’exutoire pour les auteurs maison, afin qu’ils puissent se lâcher et sortir du cahier des charges imposé sur des séries comme Superman ou Batman. Leur lecture évoque tout ce qu’on espère du film : c’est parfois boîteux, parfois enthousiasmant (Superman et Bloodsport par John Byrne !), parfois un peu idiot (une histoire de Krypto le superchien racontée par Clark Kent) mais souvent très rigolo.

Réfugiés climatiques et castagnettes, tome 1 de David Ratte (Bamboo, 56 pages, 14,90 euros)

Dans ce récit d’anticipation, le réchauffement climatique est devenu une réalité : de grandes zones du continent européen ont été submergées par la montée des eaux et Paris est devenue une ville-refuge. L’Italie, le Portugal et l’Espagne sont devenus en partie inhabitables. Le gouvernement français impose à ceux qui en ont la capacité d’accueillir des réfugiés chez eux. C’est ainsi que Louis Clémant-Barbier, issu d’une famille fortunée, propriétaire d’un appartement à Paris, apprend à cohabiter avec Maria, octogénaire espagnole qui ne parle pas un mot de français.

Réfugiés climatiques et castagnettes réinvente avec humour et optimisme la lutte des classes à l’ère de la catastrophe climatique, et brosse une histoire de chassé-croisé amoureux entre un bourgeois dont le monde s’effondre à grande vitesse et une belle espagnole réfugiée à Paris. Cet album doux-amer (qui trouvera sa fin dans un deuxième tome à sortir en 2022) raconte comment les crises révèlent le fond de l’âme humaine, dans ce qu’elle peut exprimer de pire ou de meilleur.

100 Bucket List of the dead, Volume 1, Haro Aso & Kotaro Takata (Kana, 160 pages, 7,45 euros) 

Difficile de trouver de bonnes séries parmi les nouveautés manga ces derniers temps. En voici une qui démarre de façon particulièrement enthousiasmante : Akira Tendô, 24 ans, travaille au service d’une entreprise qui l’opprime. Ses journées de travail sont interminables et il rêve de pouvoir s’échapper pour changer de vie. Miracle : une invasion zombie met le Japon à terre, et la civilisation disparaît en une nuit. Plus besoin d’aller travailler !

On sait depuis les films de George Romero que les zombies sont une métaphore pour parler des problèmes sociaux : le chef d’œuvre fondateur Zombie était déjà une critique de la société de consommation. Il est plus inhabituel d’utiliser la figure du zombie pour évoquer le monde du travail. Pourtant, que sont les employés prisonniers du rythme métro / boulot / dodo, sinon des zombies qui s’ignorent ? C’est la métaphore que file ce manga. 100 Bucket List of the dead mêle habilement comédie et horreur et régénère le genre par son approche délirante. Au cœur de l’apocalypse, Akira dresse sa liste des cent choses à accomplir avant de mourir (ce qui promet d’arriver rapidement) pour essayer de trouver enfin un sens à sa vie délivré des contingences salariales. Sur votre liste à vous, la lecture de ce manga serait un bon début.

Alicia, Prima Ballerina Assoluta, Eileen Hofer & Mayalen Goust (Rue de Sèvres, 147 pages, 20 euros)

Alicia

Avec Alicia, Prima Ballerina Assoluta, la journaliste suisse Eileen Hofer et Mayalen Goust (illustratrice pour enfants de nombreux albums du Père Castor) racontent comment le régime de Fidel Castro s’empara du ballet pour en faire un outil de propagande du régime communiste cubain. Ce roman graphique somptueux honore un personnage historique : Alicia Alonso, danseuse cubaine qui devint une gloire nationale dans les années 1940. Ses versions de grands ballets classiques furent des triomphes aussi bien à Paris, Milan que Vienne, alors que frappée de cécité à l’âge de 20 ans elle apprit à danser aveugle à l’aide d’une technique sans égale pour se repérer dans l’espace. Fervente partisane de la révolution castriste, Alonso devint une icône du régime communiste. Elle refusa de quitter Cuba après l’accession au pouvoir de Fidel Castro, en dépit de propositions venues du monde entier.

Autour de cette figure historique, les autrices imaginent les parcours de personnages contemporains, dont une jeune ballerine et sa mère. En traversant les époques de 1959 à aujourd’hui et en prenant le temps pour avancer, ce roman graphique se caractérise autant par son originalité que sa grande élégance, qu’il s’agisse de montrer Cuba ou de raconter un art trop rarement honoré par la bande dessinée : la danse. 

Basketful of Heads, Joe Hill & Leomacs (Urban Comics, 184 pages, 18 euros)

Joe Hill suit un chemin aussi couronné de succès que son père Stephen King, comme romancier autant que scénariste de bande dessinée. Après Locke & Key, best-seller international (6 volumes d’une BD adaptée en série Netflix), le jeune auteur s’est vu proposer de créer sa propre collection : Hill House Comics, au sein du très prestigieux éditeur DC Comics. Pour l’inaugurer, Joe Hill a imaginé une histoire qui évoque les films des années 1980 mêlant horreur et humour comme Evil Dead 2 ou Street Trash. Le postulat de départ est simple : une hache d’origine viking possède le pouvoir de garder en vie les personnes qu’elle découpe en morceaux. Le problème est que dans la petite ville de Brody Island en ce jour de septembre 1983, quatre prisonniers s’évadent de prison, et que leurs actes vont avoir pour conséquence de faire couler beaucoup de sang.

Les têtes coupées vont s’empiler dans un seau (d’où le titre), et - toujours vivantes - se retrouver à commenter l’histoire. C’est stupide, mais l’histoire que plaque Joe Hill sur cette idée est solide. On ne peut s’empêcher de tourner les pages jusqu’à la fin pour voir s’enchaîner les twists et les idées les plus folles. C’est du pur divertissement, c’est américain, c’est parfois un peu complaisant, mais le plaisir de lecture est énorme.

À voir également sur Le HuffPost: Dans sa BD, Livio Bernardo rend hommage à sa grand-mère

Enregistrer un commentaire

0 Commentaires