AFGHANISTAN - Face à la dégradation de la situation militaire, le gouvernement de Kaboul a proposé aux talibans ce jeudi 12 août “de partager le pouvoir en échange d’un arrêt de la violence dans le pays”, a déclaré à l’AFP, sous couvert d’anonymat, un négociateur du gouvernement aux pourparlers de paix à Doha.
Le président afghan, Ashraf Ghani, avait toujours rejeté jusqu’ici les appels à la formation d’un gouvernement intérimaire non élu comprenant les talibans, et cela en dépit des conquêtes militaires extrêmement rapides qui s’enchaînent dans le camp d’en face. Sauf que ce revirement risque d’être bien tardif, les insurgés n’ayant montré aucun signe, depuis l’ouverture des négociations de paix en septembre 2020, qu’ils étaient prêts à un compromis.
Ils y seront sans doute encore moins enclins après avoir avancé à un rythme effréné ces derniers jours. En une semaine, ils ont pris le contrôle de 10 des 34 capitales provinciales afghanes, dont sept situées dans le nord du pays, une région qui leur avait pourtant toujours résisté par le passé. Ils ont aussi encerclé Mazar-i-Sharif, la plus grande ville du nord, où le président Ghani s’est rendu mercredi pour tenter de remobiliser l’armée et les milices favorables au pouvoir.
Kaboul prise en tenailles
Ce jeudi, les talibans ont ainsi pris la ville stratégique de Ghazni, à 150 kilomètres au sud-ouest de Kaboul et se rapprochent dangereusement de la capitale de l’Afghanistan après s’être emparés en quelques jours de l’essentiel de la moitié nord du pays.
De son côté, le gouvernement a tenté de minimiser et a seulement reconnu que Ghazni était tombée, mais assuré que des combats y étaient toujours en cours. “L’ennemi a pris le contrôle de Ghazni (...) Il y a des combats et de la résistance (de la part des forces de sécurité)”, a affirmé Mirwais Stanikzai, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, dans un message WhatsApp aux médias.
Mirwais Stanikzai a ensuite annoncé que le gouverneur de la province avait été arrêté par les forces de sécurité, après qu’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, mais dont l’authenticité n’a pu être immédiatement vérifiée, l’a montré quittant Ghazni avec la bénédiction des talibans. Cette ville est la capitale provinciale la plus proche de Kaboul conquise par les insurgés depuis qu’ils ont lancé leur offensive en mai, à la faveur du début du retrait des forces étrangères, qui doit être achevé d’ici la fin août.
Une suite de conquêtes stratégiques
Mardi 10 au soir, les talibans avaient conquis Pul-e-Khumri, capitale de la province de Baghlan, à 200km au nord de Kaboul. Ils se rapprochent ainsi donc de la capitale à la fois par le nord et par le sud.
Ghazni, qui était déjà tombée brièvement en 2018, est la plus importante prise des talibans jusqu’ici avec Kunduz, carrefour stratégique du nord-est, entre Kaboul, à 300km au sud, et le Tadjikistan. Même si les talibans étaient déjà présents depuis longtemps dans les provinces de Wardak et Logar, à quelques dizaines de kilomètres de Kaboul, la chute de Ghazni est un signal très inquiétant pour la capitale.
Cette ville est effectivement un verrou important sur l’axe majeur reliant Kaboul à Kandahar, la deuxième plus grande ville afghane, au sud. Sa prise permet aux insurgés de couper les lignes de ravitaillement terrestres de l’armée vers le sud, et va encore accentuer la pression sur l’armée de l’Air afghane.
Kandahar, capitale de la province du même nom, et Lashkar Gah, capitale du Helmand voisin, sont assiégées depuis des mois par les talibans, dont ce sont deux fiefs traditionnels. De violents combats les y opposent aux forces de sécurité depuis plusieurs jours. Mercredi, les talibans ont annoncé sur Twitter avoir pris la prison de Kandahar, située dans la banlieue, pour en libérer “des centaines de prisonniers”.
À Lashkar Gah, le quartier général de la police a été fortement endommagé par l’explosion d’un véhicule piégé mercredi soir, contraignant les forces de police à se replier vers les bureaux du gouverneur, pendant que 40 policiers se rendaient aux talibans, a indiqué à l’AFP un responsable gouvernemental sur place.
Près de 400.000 déplacés
Les combats dans tout le pays ont un fort impact sur la population civile. Au moins 183 civils ont été tués, dont des enfants, en un mois à Lashkar Gah, Kandahar, Hérat (ouest) et Kunduz, et près de 390.000 personnes ont été déplacées en 2021 par les violences, selon l’ONU.
Nombre de civils ont afflué ces derniers jours à Kaboul, où une grave crise humanitaire menace. Encore traumatisés pour certains par les atrocités commises sous leurs yeux par les talibans, ils tentent de survivre dans des parcs ou sur des terrains vagues de la capitale, dans le dénuement le plus complet.
Les forces internationales doivent avoir quitté l’Afghanistan d’ici le 31 août, vingt ans après leur intervention pour chasser les talibans du pouvoir, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
Washington n’a pas caché son exaspération ces derniers jours face à la faiblesse de l’armée afghane, que les Américains forment, financent et équipent depuis des années. “Nous voyons une détérioration de la situation sécuritaire, nous avons été absolument sincères là-dessus”, a déclaré mercredi à la presse John Kirby, le porte-parole du Pentagone. Mais, a-t-il souligné, “il y a (aussi) des endroits et des moments, comme aujourd’hui, où les forces afghanes sur le terrain se battent” réellement.
L’Allemagne, l’un des principaux donateurs de l’Afghanistan, a prévenu jeudi qu’elle ne verserait “plus un centime” d’aide au développement si les talibans prenaient le contrôle du pays.
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