Aux JO de Tokyo, les athlètes LGBT+ n'ont jamais été aussi visibles, et voici pourquoi c'est important

L'équipe allemande olympique de hockey lors des Jeux olympiques de Tokyo le 25 juillet 2021

LGBT+ - C’est peut-être un détail pour vous, mais pour eux ça veut dire beaucoup. Selon le décompte du site spécialisé Outsports, les Jeux olympiques de Tokyo ont rassemblé plus de 180 athlètes gays, lesbiennes, bisexuels, transgenres, homosexuels ou non binaires. Soit plus que toutes les autres olympiades combinées et une visibilité sans-précédent. 

“On est très clairement dans un point de bascule qui révèle des choses sous-jacentes, en route depuis pas mal de temps”, commente pour Le HuffPost le sociologue Sylvain, Ferez, maître de conférences à l’université de Montpellier. De fait, ces deux semaines sportives ont donné lieu à des incarnations fortes.

Que ce soit le nageur olympique britannique Tom Daley, qui après sa médaille s’est dit “très fier [d’être) un homme gay.... Et aussi, champion olympique!”, la tireuse polonaise Aleksandra Jarmolińska qui a assisté à la cérémonie d’ouverture avec un masque aux couleurs arc-en-ciel tout en se prononçant en faveur de l’égalité des droits, ou encore la simple présence de la première sportive trans, la néo-zélandaise Laurel Hubbard, en haltérophilie.

Loin d’être banale ou anecdotique, cette visibilité est le fruit d’un long processus militant, social et historique, mais aussi d’un effet de génération. “C’est une jeune génération de sportifs, venant de certains pays et qui font aussi des performances. Ce sont souvent des gens qui sont déjà out, qui quelque part ne sont pas dans un grand dévoilement”, explique le sociologue comme un écho aux propos de l’athlète non-binaire Quinn jouant pour l’équipe de football féminine du Canada et qui avait notamment déclaré: “Je suis triste de savoir qu’il y avait des olympiens avant moi incapables de vivre leur vérité à cause du monde”.

Les outils de la visibilité

Une jeune génération qui se saisit aussi des outils à sa disposition et donc des réseaux sociaux. “Les sportifs prennent la parole directement, dans l’enceinte des jeux et autour et ça révolutionne aussi la visibilité. On l’a vu aussi pour des joueuses de foot qui ont fait leur coming-out sur Instagram. Elles s’affichent de manière tout à fait naturelle sans passer par ce truc solennel, qui se faisait avant, et qui disparait”, pointe Veronica Noseda, militante lesbienne et membre de l’association sportive Les Dégommeuses, jointe par Le HuffPost. 

Une liberté enfin arrachée qui dans une certaine mesure fait aussi écho aux enjeux de santé mentale mis en avant par Simone Biles. Un athlète qui va bien dans sa tête, c’est un athlète qui performe mieux, rappelait au HuffPostla semaine dernière le docteur Pierre Billard, médecin fédéral national à la Fédération française de gymnastique. Et si les effets du placard sont eux dévastateurs, charge incombe aussi aux fédérations de mieux protéger leurs athlètes face aux insultes et menaces reçues en retour.  

Première athlète sud-coréenne à remporter trois médailles d’or aux Jeux olympiques, l’archère An San a été victime d’une campagne de harcèlement sur les réseaux sociaux, des internautes s’attaquant à sa coupe de cheveux jugée “trop courte”. Selon le New York Times, elle a reçu des “milliers de commentaires l’accusant d’être féministe”. Dans un message posté sur les réseaux sociaux, le président sud-coréen Moon Jae-in lui a apporté son soutien.

Évolution au sein des instances

Égalité des droits, meilleure acceptation... Si un vent de fraîcheur et d’inclusivité a pu prendre corps pendant cette quinzaine, c’est aussi parce qu’il y a eu de petits changements au sein même de l’institution. Début juillet, le Comité international olympique (CIO) a légèrement modifié sa charte en autorisant les athlètes à évoquer des opinions sociétales et politiques lorsqu’ils échangent avec les médias avant et après, même si cela reste proscrit pendant les épreuves, lors des hymnes et des médailles, et lors des cérémonies.

“Ça montre que les institutions bougent et que les athlètes repoussent les cadres. Dans une certaine mesure, la séparation entre le corps laborieux de l’athlète et le corps pensant, intellectuel, qui était voulu par les institutions du sport, l’injonction selon laquelle le champ politique ne doit pas prendre trop de place, tout cela est en train de céder”, se félicite Veronica Noseda.

Elle pointe toutefois les limites de cette ouverture et notamment les risques de pinkwashing: “La visibilité LGBT+ est aussi adoubée par des entreprises, et il faut faire attention à ne pas tomber dans des discours lisses. Je ne suis pas sûre que des paroles anticarcérales ou contre les armes à feu seraient tout aussi acceptées dans l’enceinte sportive”, ajoute-t-elle. 

Gage d’ailleurs que le CIO demeure particulièrement tatillon, il a ouvert une enquête sur l’initiative de la vice-championne olympique américaine de lancer de poids, Raven Saunders, qui a croisé les bras en l’air sur le podium. Un signe de soutien qu’elle a voulu inspirant pour “des petites filles, des petits garçons, des personnes LGBT, des personnes qui ont combattu la dépression... Beaucoup de gens qui ont un jour eu envie d’abandonner. Cette victoire n’est pas qu’à propos de moi”. 

L’importance des rôles-modèles pour les LGBT+

Conséquence espérée de cette visibilité? Les JO font apparaître de nouveaux rôles-modèles, essentiels dans la construction de soi. “On a besoin d’histoire, de modèles. Ce besoin reste important pour des mécanismes d’acceptation, d’identification. Ça peut être rassurant et mobilisateur. Et quoi qu’on en pense, même en France, il y a encore des tabous et des pressions”, abonde Véronica Noseda. En ce sens, la médaille d’argent de la judokate française Amandine Buchard, quelques semaines après sa participation au documentaire Faut qu’on parle sur Canal+, est un symbole.

En parallèle, cela pousse aussi des enjeux plus géopolitiques sur le devant de la scène, et met en lumière le sort des personnes LGBT+ dans d’autres pays, comme cela avait été justement le cas peu avant avec l’Euro de football qui se déroulait en plein débat sur une loi homophobe promulguée en Hongrie.

“La visibilité oblige les gens à se positionner, elle crée des discussions”, précise le sociologue, et y compris au sein des institutions. Le CIO a ainsi récemment indiqué à la BBC qu’il allait prendre contact avec le diffuseur russe des Jeux olympiques pour faire part de ses réserves alors que certaines émissions du service publique ont donné lieu à une débandade de propos homophobes et transphobes.

Mais là-encore, l’institution olympique fait face à ses propres limites. Au Japon, pas moins de 80 associations ont demandé au CIO de rappeler le gouvernement à l’ordre. Car si l’interdiction des discriminations en raison de l’orientation sexuelle figure bien dans la Charte olympique, au Japon les propos et discriminations LGBTIphobes ne sont pas punis. L’appel demeure pour le moment sans réponse. 

Faire évoluer les normes du sport

Pour Sylvain Ferez s’ils “ne se définissent pas forcément militants”, les athlètes LGBT+ participent à la diffusion d’un message politique et sociétale d’inclusivité, ils poussent aussi le sport dans son cadre général à repousser “ses normes de genre, ses normes hétérosexistes”, et donc aussi à modifier ses règlements.

“L’institution du sport, c’est la fabrique du genre par excellence, avec des normes hétérosexistes. Cette visibilité LGBT+ rebat finalement le script classique du sportif surhomme et viril et de la sportive soupçonnée d’être lesbienne mais dont le corps continue d’être mis en scène”, détaille Sylvain Ferez en évoquant notamment le cas de l’équipe féminine de Beach Handball norvégienne, qui a écopé d’une amende pour ne pas avoir voulu porter un bas de maillot de bain échancré, ou encore de l’équipe de gymnastique allemande qui a opté pour une combinaison rouge et blanche, recouvrant les jambes et bras, plutôt que le traditionnel justaucorps.

En 2008, une étude réalisée à partir des images filmées lors des matchs de beach-volley des Jeux olympiques de 2004, révélait que plus de 37% des plans étaient centrés sur la poitrine ou les fesses des joueuses. “Une telle analyse confirme que le sexe et la sexualité ont été utilisés non seulement pour promouvoir les athlètes, mais aussi pour vendre le sport aux téléspectateurs du monde entier”, peut-on lire dans la conclusion.

Le sport, un terrain de conquête

“Personne ne s’identifie comme homophobe, mais tout le monde et y compris l’institution, enracine des pratiques, via des règlements qui ne sont aujourd’hui plus idéologiquement supportables. C’est aussi en pointant petit à petit ces règlements qu’on commence à batailler et à questionner ce qui se joue”, réagit de son côté Sylvain Ferez. 

La possibilité pour Laurel Hubbard de concourir est en ce sens un moment historique, mais aussi le début de quelque chose. “Le CIO a trouvé une façon de régler cette question. Mais elle va revenir parce qu’on voit bien que le principe de base ce sont les dosages hormonaux. Sauf que ça reste une manière de naturaliser le genre qui ne règle pas l’impasse biologique dans laquelle on est. La ségrégation des sexes et des genres, c’est le prochain bastion, parce que dans tous les autres domaines, parce exemple dans le travail, on a des hommes et des femmes en concurrence”, dit Sylvain Ferez. 

En faisant émerger des questions sur les droits et la visibilité des personnes LGBT+, mais aussi sur les représentations des corps des femmes pendant les JO, les athlètes propulsent aussi ces questions dans l’espace médiatique. Une façon pour le sociologue de permette à tout à chacun de réfléchir à ses propres représentations. “D’abord, on a brisé le tabou. Maintenant, il faut tenir le cap et se demander ce qu’on fait de ce discours, de cette visibilité. Ça doit être un premier pas, on ne peut pas se contenter de ça”, abonde de son côté Veronica Noseda.

Quant au sport lui-même, il ne peut plus rester sourd aux demandes de changement de la jeunesse, “tout simplement parce que c’est son vivier de demain”, conclut Sylvain Ferez.   

À voir également sur Le HuffPost: JO de Tokyo: Simone Biles pousse les athlètes à parler du problème de la santé mentale

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