13 novembre, 11 septembre... Pourquoi on se souvient de ce qu'on faisait au moment des attentats

Des Parisiens devant le Bataclan, le soir du 13 novembre 2015 après les attentats

MÉMOIRE - Si on vous demande où et avec qui vous étiez le soir du 13 novembre 2015 lorsque vous avez appris que des attentats avaient lieu à Paris, vous pourriez le décrire sans doute très précisément. Idem si on vous interroge sur ce que vous faisiez ou même ce que vous teniez entre les mains l’après-midi du mardi 11 septembre 2001, lorsque deux avions ont frappé les tours jumelles de New York. 

Alors que le procès des attentats du 13-Novembre s’ouvre ce mercredi 8 septembre et qu’on commémore quelques jours plus tard les 20 ans du 11-Septembre, ces “souvenirs flash” que beaucoup de Français ont formés lors de ces deux événements majeurs de notre histoire contemporaine sont souvent encore très précis dans nos mémoires et témoignent de l’ampleur de l’émotion ressentie.

“C’est ce qu’on appelle un souvenir flash, ou flashbulb memory en anglais, issu d’une vieille métaphore comme quoi notre mémoire prendrait des photos à la manière d’un appareil”, explique au HuffPost le neuropsychologue Francis Eustache, président du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires. Ce souvenir se forme lorsqu’un individu est en contact - plutôt à distance - avec un événement collectif, “fortement émotionnel”, dont on perçoit immédiatement l’importance et les conséquences, sans même les connaître.

Un “souvenir flash” du 13-Novembre pour 97% des Français

“La grande particularité de ce phénomène, c’est qu’on est dans une condition parfaite pour encoder un souvenir, car toute l’attention est focalisée sur ce qu’il se passe”, poursuit le co-responsable scientifique du programme de recherche 13-Novembre avec l’historien Denis Peschanski. “Quand on enregistre un souvenir, on mémorise le contexte: quand, où, comment cela se passe, qui vous le dit, ce que vous faisiez à ce moment, même si c’était dérisoire. Exceptionnellement, vous allez ainsi mémoriser vos mains en train d’éplucher une pomme de terre si c’est ce que vous faisiez à ce moment-là”, décrit-il.

Sept mois après le 13-Novembre, 97% de la population française avait formé un “souvenir flash” de ce vendredi-là, d’après un sondage du Crédoc réalisé dans le cadre du programme mené par les chercheurs. Deux ans et sept mois plus tard, ils étaient toujours 93% à se rappeler du contexte dans lequel ils avaient pris connaissance des événements. Une proportion “impressionnante et considérable”, commente Francis Eustache.

D’autant que contrairement à des événements collectifs plus anciens, l’évolution des médias a conduit à une abondance d’images sur les chaînes d’info en continu comme sur les réseaux sociaux. ”À l’époque de l’assassinat de JF Kennedy, on avait une vidéo un peu floue, en noir et blanc et de mauvaise qualité. On était loin de l’intensité des images du 11-Septembre ou du 13-Novembre, or le canal visuel est très fort pour ce type de mémorisation”, évoque le directeur de recherche de l’Inserm.

Si le “souvenir flash” est très vivace pour certains, il se différencie néanmoins bien du “souvenir traumatique” qui se crée lorsque l’émotion est tellement forte dans notre cerveau que l’amygdale se met à “trop fonctionner” et perturbe le fonctionnement de la mémoire. Dans ce cas, ce sont des éléments de la scène qui sont mémorisés et il n’y a plus de contexte. “Cette perception exacerbée crée non pas un souvenir, mais des intrusions qui surgissent sans qu’on puisse les contrôler”, décrit le chercheur.

Francis Eustache, neuropsychologue, président du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, et co-responsable scientifique du programme de recherche 13-Novembre

Six ou vingt ans plus tard, c’est souvent à partir de ces souvenirs flash que démarrent les échanges sur ces événements. “Lorsqu’on évoque un souvenir, on part en général du contexte pour qu’il survienne”, poursuit-il. C’est en retrouvant dans quelles circonstances on a appris les attentats qu’on peut ensuite raconter “notre” 13-Novembre ou “notre” 11-Septembre. “Les souvenirs flash ont un rôle pour la création de la mémoire collective. Par l’échange, on maintient l’émotion – acceptable, mais suffisamment forte – qui participe à la cohésion sociale. On a tous vécu cela, on a été confrontés à ça”.

Mémoire individuelle et mémoire collective

Mais aussi forts soient-ils, les “souvenirs flash” sont amenés à perdre en acuité, en précision. La mémoire est “dynamique, mobile et plastique”, rappelle Francis Eustache. Même si on a souvent l’impression d’être persuadés de leur exactitude, “les souvenirs sont destinés à se transformer avec le temps et sont façonnés par les échanges avec les autres.”

C’est tout l’objet d’étude d’une partie du colossal programme 13-Novembre, lancé en 2016 et qui doit durer jusqu’en 2028. Inspirés par le travail du psychologue américain William Hirst, auteur clé des recherches sur le 11-Septembre, Francis Eustache et Denis Peschanski ont crée ce programme inédit sur les mémoires traumatiques dans lequel ils recueillent notamment les témoignages de 1000 personnes, touchées de façon plus ou moins proche par les attentats et interrogées à quatre reprises en dix ans. L’idée est d’étudier les allers-retours entre ressenti individuel et construction sociétale.

“On a longtemps pensé que la mémoire individuelle et la mémoire collective étaient relativement cloisonnées. Mais les travaux sur le 11-Septembre ont prouvé qu’elles interagissent. Les études montrent que la mémoire collective alimente le souvenir flash et le déforme”, développe le co-responsable du programme. “Notre mémoire est en contact avec les médias, les réseaux sociaux, les images. Et si elle nous permet de communiquer, elle est aussi façonnée par tout cela.”

Comment le souvenir traumatique des attentats du 13 novembre 2015 évolue-t-il dans les mémoires individuelles et les mémoires collectives? Comment les mémoires individuelles et collectives interagissent-elles dans leur construction et leur reconstruction? Voilà les questions auxquelles tente de répondre ce programme - “une première mondiale de par son ampleur” - et pour lequel des retombées sont attendues dans les domaines socio-historique et biomédical, mais aussi du droit et des politiques publiques ou de la santé publique.

Si le matériel d’étude nécessitera des années d’analyse, reste que le procès des attentats du 13-Novembre, et qui doit durer huit mois, sera indéniablement une nouvelle étape de notre mémoire individuelle comme collective.

À voir également sur Le HuffPost: Les images de la salle d’audience du procès du 13 novembre

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