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JUSTICE - Des “kamikazes” au Stade de France, des terrasses de bars et la salle du Bataclan mitraillées: près de six ans après, la justice replonge à partir de ce mercredi 8 septembre - et pour neuf longs mois - dans l’horreur des attentats jihadistes du 13-Novembre.
Ce procès hors-norme, la plus grande audience criminelle jamais organisée en France, doit s’ouvrir à la mi-journée dans l’historique palais de justice de Paris, sous sécurité maximale dans un contexte de menace terroriste toujours élevé.
Outre l’ampleur titanesque du dossier, ce procès est inédit en matière criminelle par sa durée et le nombre de parties civiles, près de 1800. Leurs avocats, au nombre de 330, s’y préparent pour certains depuis des années.
“On a commencé à travailler sur le dossier il y a quatre ans et demi, explique au HuffPost Me Gérard Chemla, basé à Reims, qui représentera plus de 130 parties civiles. Depuis le mois de juin, il assure d’ailleurs ne faire quasiment que “du 13-Novembre”.
“On se prépare à ce procès depuis des années, notamment sur l’aspect logistique explique au HuffPost Me Claire Josserand-Schimdt, avocate au barreau de Paris et qui représentera une vingtaine de parties civiles. Il va durer neuf mois et on prévoit d’y assister tous les jours, alors il a fallu organiser nos cabinets en conséquence pour continuer à prendre en charge nos autres clients”.
Me Grégory Doranges, avocat à La Rochelle, dit quant à lui “appréhender sereinement ce procès”: il y représentera Jessica, une réserviste de l’armée qui avait porté secours à plusieurs blessés des attentats cette nuit-là. S’il est conscient de “l’énorme enjeu” de ce procès, il juge essentiel de “prendre du recul”.
“Je ne peux pas me laisser submerger par le fait que c’est un procès historique, nous explique-t-il. Il faut garder la tête froide et les règles de droit doivent primer”.
Un avis que partage sa consœur Me Claire Josserand-Schimdt: “Je tâche de rester sereine, car quel que soit l’ampleur de ce procès, on va faire du droit”.
“Reparler de cette nuit d’enfer, c’est aussi revivre le traumatisme”
Mais les trois avocats évoquent surtout la difficile préparation de leurs clients à ce procès. “On les a tenus informés en temps réel pendant quatre ans, détaille Gérard Chemla. Plus récemment, nous leur avons expliqué de manière très détaillée ce qui allait se passer et on a fait des rendez-vous avec ceux qui le souhaitaient, en lien avec les associations de victimes des attentats”.
“Pour la plupart d’entre elles, c’est la première fois qu’elles entreront dans une enceinte de justice, abonde Claire Josserand-Schimdt. Il faut leur expliquer comment se déroule un procès pénal, qui en seront les acteurs importants, etc. Plus récemment, on leur a donné des détails plus techniques: où s’installer dans la salle, le dispositif de sécurité mis en place ou encore les relations avec la presse”.
Sur ce dernier point, un dispositif simple, mais inédit, sera en vigueur. Les parties civiles ont reçu un cordon vert ou rouge, qu’elles pourront porter autour du cou pour signifier si elles acceptent ou non d’être interrogées par les journalistes.
Il a également fallu préparer les victimes qui le souhaitent à témoigner à la barre. “On a balisé le terrain avec elles, car il va y avoir une dimension émotionnelle très forte qu’il faut absolument appréhender”, souligne Me Chemla.
“C’est très impressionnant de parler devant des juges, dans une salle aussi grande et sur des faits si douloureux, abonde sa consoeur Claire Josserand-Schimdt. Reparler de cette nuit d’enfer, c’est aussi revivre le traumatisme”.
“Alors, on doit déterminer avec précision le message qu’elles veulent faire passer pour qu’il soit le plus clair possible.”
Les avocats interrogés par Le HuffPost évoquent également le sentiment d’illégitimité ressenti par certaines victimes, comme si leur témoignage ne compterait pas. “Il y aura tellement d’acteurs dans ce procès que cela peut aussi donner l’impression d’être noyée dans la masse, complète Grégory Doranges. Les parties civiles doivent savoir qu’elles ont toute leur place”.
“Ce qu’elles appréhendent le plus est de rester dans cette masse imperceptible, confirme Claire Josserand-Schimdt. On les aide à cerner le procès pour se sentir concerné et exister”.
“Ce qu’elle attend, c’est d’être entendue et écoutée”
Une chose est sûre: à quelques heures du début de ce procès, les victimes commencent à ressentir la pression. “Le stress est en train de monter d’un cran, confie Gérard Chemla. Les choses sont en train de se crisper et les victimes appréhendent le face-à-face, pas forcément avec les accusés, mais avec l’évènement”.
Car pour certaines victimes, à l’instar de Jessica, ce sera la première fois qu’elles sont entendues par la justice. “Elle n’est pas pleine de rage, de colère ou de tristesse et n’y va pas pour prendre sa revanche, assure son avocat, Me Doranges. Ce qu’elle attend, c’est d’être entendue et écoutée”.
Son confrère Gérald Chemla espère en tout cas que tout se déroulera dans de bonnes conditions. “C’est le procès criminel le plus important que la France n’ait jamais organisé, indique-t-il. On sait que ça va être très compliqué de travailler dans de bonnes conditions, notamment en raison du nombre de places limitées - une quarantaine seulement pour les 330 avocats des parties civiles au total - mais on fera face”.
Il appelle ses confrères à la “dignité et la responsabilité”. “Il faudra éviter à tout prix que les avocats des parties civiles basculent dans la basse-cour et le grand n’importe quoi, estime-t-il. On devra ramener dans ce procès l’humanité effacée dans les attentats”.
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