Mes élèves, ados chiants et chouettes, au coeur de ma vocation - BLOG

Beaucoup prétendent qu’on n’est pas sur une estrade pour aimer ses élèves. Mais comme de nombreux collègues, je ne pourrais pas passer mes semaines avec des jeunes, mes week-ends avec la préparation de leurs cours, la correction de leurs copies et le souvenir de leurs bêtises s’il n’y avait entre eux et moi un je-ne-sais-quoi de nécessaire.

ENSEIGNEMENT - Mes élèves. Après plus de vingt ans de métier, ils méritaient bien que je leur rende hommage. Chaque heure passée avec eux m’offre une nouvelle histoire à écrire. Ils me font rire, m’agacent, me désolent, me fatiguent, me fascinent, m’énervent, me touchent. Ils me sont indispensables. Ils donnent un sens à ma vocation, à ce que j’ai décidé d’entreprendre à la fin de mes études: la transmission.

Au début, toute jeune prof, je pensais que mon rôle se bornerait à leur inculquer un savoir académique, encyclopédique, la langue et la littérature françaises telles qu’on me les avait apprises, c’est-à-dire d’une façon magistrale. Et puis très vite, j’ai compris que j’étais là aussi pour autre chose.

Être face à une classe de collège, c’est devoir s’adapter à une multitude de problématiques, d’esprits et de sensibilités différents, avec parfois en filigrane, des situations sociales compliquées. Tout cela exige une grande capacité d’adaptation, car souvent, le français est loin d’être la première préoccupation des élèves. Entre Jade, tout heureuse de partager avec moi ses premières règles; Souleymane, déçu que je l’aie amené au Louvre plutôt qu’au kebab; Hamidou, dont je découvre avec horreur les marques bleues sur tout le corps; Shéhérazade, qui, envieuse du piercing de sa copine, s’agrafe le nez en pleine classe, la liste est longue d’événements qui viennent perturber le déroulement théorique du cours bien huilé préparé dans mon classeur.

Au milieu de cette forte hétérogénéité émerge néanmoins un point commun à tous: leur mal-être dans la douloureuse période que constitue l’adolescence. Chacun l’exprime à sa manière, plus ou moins maladroitement. Avec des certitudes martelées sans réfléchir, avec grossièreté, avec violence ou au contraire d’une façon totalement invisible. 

S’improviser psychologue, infirmier, humoriste, confident…

À moi d’être celle qui au quotidien, canalise les énergies négatives et révèle en chaque ado celles qui les aidera à s’épanouir. Tenir tête à Hachemi, dompter sa colère. Déceler la détresse dans la mélancolie silencieuse de Dragana. Il n’est pas de plus belle victoire que de revoir, quelques années après les avoir eus, ses anciens élèves et de les trouver changés, apaisés, à leur place. Combien il m’a bouleversée, cet Abdel si abominable en classe, qui insultait presque autant qu’il clignait des paupières, et qui soudain m’est revenu en s’excusant et en me remerciant de n’avoir jamais rien lâché avec lui. Combien elle m’a émue, cette petite Lucille devenue femme, fière de m’annoncer qu’elle s’était reconstruite malgré le viol subi lorsqu’elle était mon élève.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!

En attendant, il faut accepter de s’improviser psychologue, infirmier, humoriste, confident… Et surtout faire comprendre que le salut vient de l’instruction. Ce n’est pas une mince affaire; face à l’ado, il ne faut pas imposer, mais être subtil. Tout est dans l’apprivoisement par le savoir. De cet apprivoisement naissent alors la rencontre et la création d’un lien, qu’il soit intellectuel ou plus affectif.

Beaucoup prétendent qu’on n’est pas sur une estrade pour aimer ses élèves. Mais comme de nombreux collègues, je ne pourrais pas passer mes semaines avec des jeunes, mes week-ends avec la préparation de leurs cours, la correction de leurs copies et le souvenir de leurs bêtises s’il n’y avait entre eux et moi un je-ne-sais-quoi de nécessaire. Ce nécessaire se crée au fil des interactions, qu’elles soient agréables ou compliquées. La pédagogie est un apprentissage mutuel. On enseigne à l’Autre tout autant qu’on apprend sur soi, sur ses propres compétences et ses propres limites. C’est cette perpétuelle remise en question qui forme véritablement le professeur, année après année, et contribue à le faire s’attacher à ses élèves. Comment ne pas être démunie devant Rayan, qui ne connaît même pas le prénom de sa mère parce qu’il l’appelle “maman”, ou face à Jocelyne, qui vient se plaindre d’avoir été giflée par ses parents le jour où je lui ai appris le mot “nyctalope”? Comment rester de marbre face à Imane, non-francophone et orpheline de mère, qui rassemble chaque jour tout son courage pour essayer de bien travailler?

Bienveillance sans démagogie

Cet attachement n’exclut en rien l’exigence de l’effort et la volonté de tendre vers l’excellence, bien au contraire. La bienveillance n’est pas la démagogie. La démagogie est une insulte faite à l’intelligence des enfants. Nous leur devons, parce que c’est souvent ce qui leur manque, une fermeté éclairée les amenant à comprendre l’importance de la connaissance. Je ne me résoudrai jamais à leur faire étudier des textes de rap, par confort ou pour leur plaire. Ce sont leurs codes et leurs repères, moi je suis là pour leur faire découvrir autre chose, leur donner le goût des textes classiques. Ça, c’est un challenge, et une véritable nécessité parce que ce sont les récits fondateurs du patrimoine français, et que tous les élèves doivent pouvoir s’enraciner dans une culture commune, qui les fédère. Souvent je leur demande: “Dans les meilleurs collèges de France, on étudie Corneille, Voltaire, et Villiers de L’Isle-Adam. Préférez-vous que je vous considère comme des idiots incapables d’avoir accès à ces textes ou relevez-vous le défi de vous élever?” La réponse est unanime.

Il est indispensable de développer en eux l’amour du travail bien fait et de la rigueur, de faire naître en eux une curiosité de plus en plus atrophiée par l’usage des écrans. J’ai chaque jour à me battre contre des “Wesh, madame, la flemme d’écrire” ou “Ya combien de pages dans le livre à lire?”. Le livre et le stylo tendent à devenir les nouveaux ennemis. Là encore, je dois trouver les arguments, leur expliquer que s’ils ne savent pas lire –pas seulement les livres, mais aussi les images, les slogans, tous les signes présents autour d’eux-, ils se sentiront étrangers au monde qui les entoure, exclus, frustrés, incapables de se l’approprier et d’y évoluer sereinement.

Être des modèles

C’est en leur donnant ces clés de lecture qu’on peut espérer les rendre respectueux et tolérants, par la compréhension et l’acceptation de l’Autre. À nous d’être pour eux des modèles, davantage que des critiques, car, dans la société actuelle, c’est de plus en plus au sein de la classe que se préparent les citoyens de demain. Les disciplines enseignées doivent être des ponts amenant vers des valeurs d’humanité. Il n’y a rien de plus fondamental. Notre responsabilité est grande. Mais quand, au terme d’un cours ou d’un projet mené en classe, on sent que les graines qu’on a plantées sauront mûrir avec bonheur, il n’y a pas de plus grande satisfaction: qu’un élève hostile aux juifs embrasse un déporté rescapé des camps après avoir entendu son témoignage; qu’un autre, détestant la lecture, me fasse la surprise d’avaler tout un Zola parce que je lui en ai donné le goût; qu’un autre encore, autiste devant l’Éternel, sorte grâce à Molière de sa terrible prostration, tout cela fait partie des récompenses qu’offre le métier. Cela vous donne le sentiment d’être utile.

Chaque heure de cours apporte son lot d’émerveillement ou de surprise. On n’en ressort jamais indemne. Voilà pourquoi, après tant d’années, le plaisir d’enseigner et d’être au milieu de mes élèves reste intact. Le jour où je me lèverai à regret et irai au collège à reculons, il sera temps pour moi de raccrocher mon cartable. En attendant, j’invite les curieux à retrouver Jade, Souleymane, Hachemi et les autres pour partager, dans mon ouvrage Prof! les moments les plus drôles, les plus graves et les plus cocasses de ma carrière.

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