CORONAVIRUS - La réouverture, ça sera sans eux. Alors que les restaurateurs se préparent à déballer leur terrasse dans une semaine, ils continuent aussi de compter leurs pertes qui ne sont pas que financières. Selon l’Union des métiers de l’industrie hôtelière (Umih), près de 140.000 salariés de l’hôtellerie-restauration ont changé de métier depuis le début de la crise sanitaire, dont plus de 30.000 uniquement en 2021.
Parmi eux, des patrons qui ont définitivement mis la clef sous la porte après douze mois en dents de scie et des aides qui n’ont pas permis de garder la nappe sur la table. Mais aussi des salariés pour lesquels le Covid a eu un effet “déclic” ou “révélateur”, comme l’explique au HuffPost, Lucas, originaire du Maine-et-Loire.
Quand la pandémie éclate, le jeune homme âgé d’une vingtaine d’années est en alternance dans un restaurant. Rapidement, il tourne en rond. “Je n’en pouvais plus d’être au chômage partiel, je ne supportais pas d’être chez moi à ne rien faire, j’ai besoin de travailler”, raconte-t-il. Alors qu’il a déjà fait plusieurs saisons en tant que barman et chef de rang, d’autres facteurs pèsent sur sa réflexion et notamment son engagement dans un métier où l’on compte rarement ses heures.
Prise de conscience
“Je me suis rendu compte que je n’étais pas assez passionné par la restauration pour continuer. Et puis, la restauration amène un décalage entre votre vie et celle de vos amis et votre conjoint. Si vous ne partagez pas le même métier, c’est très compliqué. Et travailler jusqu’à 3 heures du matin c’est vite usant”, abonde-t-il.
Un aspect du métier également évoqué par Aurélien, 34 ans, et ancien manager dans la restauration rapide, où il a évolué pendant près de sept ans. En 2020, à la faveur d’une histoire d’amour, et en partie à cause de la crise, il déménage de l’Yonne vers la Seine-et-Marne et change de métier pour devenir préparateur de commande dans l’alimentation. Aujourd’hui il n’envisage pas un retour en arrière. “Avec le temps, on vieillit et ça devient un peu compliqué de travailler avec beaucoup de jeunes. Et puis les horaires sont contraignants. On travaille souvent en coupure, par exemple, on travaille 4 heures puis on a une pause de 3 heures et on retravaille 4 heures. Ce fut une bonne expérience malgré tout”, assure-t-il au HuffPost.
“Depuis un an, c’est mort”
Depuis mars, Lucas, lui, a finalement choisi de quitter le secteur et de se tourner pleinement vers une autre de ses passions: l’automobile. Après avoir trouvé au début du printemps un petit boulot dans un magasin de décoration et de mobilier, il cherche actuellement une alternance chez un concessionnaire pour suivre sa formation. S’il reste persuadé que, “comme avant la crise, il y aura toujours du travail dans les métiers de la restauration”, le jeune homme se dit néanmoins confiant dans sa nouvelle voie.
Selon un sondage réalisé pour Centre Inffo par le CSA en janvier 2021 auprès de 1600 actifs français, un sur cinq est actuellement dans “un processus de reconversion professionnelle”. La proportion monte à 30% chez les indépendants et les jeunes de 18 à 24 ans sont particulièrement concernés puisqu’ils sont 34% à s’engager dans un processus de reconversion.
Si pour Lucas, la reconversion était plutôt volontaire, pour Lise, 21 ans, elle a surtout été subie. Titulaire d’un bac pro en hôtellerie, elle entame en septembre 2019 un Bachelor en alternance dans un grand hôtel parisien quatre étoiles. Le 16 mars 2020, elle est immédiatement placée en chômage partiel. Elle y restera jusqu’à la fin de son contrat début octobre, sans jamais repasser par l’entreprise.
La jeune femme s’inscrit alors à Pôle Emploi, décroche un job chez Décathlon puis à la CPAM de son département où elle est chargée d’appeler les gens déclarés comme cas contact. “C’était très intéressant, on peut parler à tout type de personne. Et comme je n’avais plus vraiment de contact social mis à part mon foyer familial, dans un sens ça faisait du bien”, confie-t-elle au HuffPost.
Mais alors que la sortie de crise est en train de s’amorcer, Lise a plus ou moins fait une croix sur l’hôtellerie-restauration et tente de reprendre ses études dans un master plus généraliste. A priori, pas question de retourner à ses premières amours: “C’est trop instable, en trois ans il y a eu des attentats, des grèves, les manifestations des gilets jaunes, une pandémie mondiale... Il y a toujours cette crainte de ne jamais revoir le secteur rouvrir pleinement, c’est des métiers qu’on fait car on aime le contact de la clientèle, par passion. Or depuis un an c’est mort”, assène-t-elle. La jeune femme qui aspire à une “situation stable, financièrement surtout” se projette dans un métier un peu plus administratif, mais confie tout de même avoir un jour pour projet d’ouvrir une maison d’hôtes.
Dans l’attente de jours meilleurs
À ces reconversions s’ajoutent des entre-deux, comme celui de Julie. Cheffe de brigade de 24 ans dans un restaurant étoilé parisien, elle n’a eu presque aucune nouvelle de son restaurant fermé depuis mars 2020. “Au début on discutait par message mais le lien n’a pas été entretenu entre la direction et les équipes. Il ne se passait plus rien, et on nous envoyait juste de temps en temps un message pour nous demander de venir faire le ménage”, raconte-t-elle. Un changement brutal en comparaison des 60 heures de travail par semaine qu’elle enchaînait avant la crise.
La distance, le chômage partiel et le confinement faisant, elle a rendu son appartement pour retourner chez ses parents et économiser de l’argent. Après une brève expérience avec une amie à elle dans la création d’accessoires en tissus, elle a finalement quitté son CDI pour une résidence culinaire estivale à l’étranger. “Cette crise c’est peut-être le déclic dont j’avais besoin pour me pousser à évoluer vers autre chose, grandir et prendre en maturité”, explique-t-elle. Pas question de quitter le restaurant définitivement, mais pas question non plus d’en faire comme avant et “d’enchaîner les horaires sans avoir de vie”. Dans son ancien restaurant, au moins quatre autres personnes ont démissionné pour mener à bien des projets personnels.
Difficile de parler de pénurie de main d’oeuvre pour le moment, mais ces changements de voies pèsent sur les conditions, de la réouverture, déjà jugées particulièrement aléatoires. “Je pense qu’il y a 30 à 50% d’employés qu’on ne retrouvera pas. C’est un problème qui sera durable, il faudra 5-6 années pour se remettre complètement de la crise” confiait au HuffPost Thierry Fontaine, patron de clubs et de restaurants à Lyon, en mars dernier.
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