La réouverture des discothèques ne va pas taire les free parties

Dans les bois ou dans un champ, les free parties ont la vie dure depuis le début de la crise sanitaire.

FÊTE - Danser au beau milieu de la nuit sous une boule à facettes, renverser son verre sur un inconnu, perdre quatre fois son ticket pour les vestiaires, puis le retrouver. On y est presque. À moins d’une semaine de la réouverture des discothèques, fixée au vendredi 9 juillet, l’excitation monte.

Des jauges d’accueil du public ont d’ores et déjà été envisagées: une capacité de 100% pour les discothèques en extérieur, et de 75% pour les espaces intérieurs. Le port du masque ne sera pas obligatoire en intérieur, mais recommandé. Des tests de dépistage rapide pourront être proposés à l’entrée.

Ces décisions, elles ont été révélées le 21 juin, jour de la Fête de la musique, par le ministre délégué aux PME, Alain Griset. Elles sont salutaires. Aujourd’hui, les discothèques représentent 30.000 emplois directs et un milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, selon les syndicats. Fermées depuis le mois de mars 2020, certaines d’entre elles ont déjà mis la clé sous la porte.

Cependant, pour certains, cette annonce tombe un peu comme cheveu sur la soupe. Programmation musicale, mise en place d’un système de ventilation aux normes, etc. La saison estivale est déjà bien entamée. Comment se préparer in extremis? Devant l’incertitude du calendrier, certains acteurs du milieu de la nuit n’ont, eux, pas attendu la réouverture des discothèques pour s’organiser.

Naviguer à vue

C’est le cas du collectif la Culottée, né à Paris il y a bientôt dix ans. “Que ce soit au niveau des lieux, les projets des uns et des autres semblent s’être organisés sur des formats extérieurs, nous dit l’un de ses membres, Yoann. De notre côté, on a fait en sorte de réfléchir à des événements qui permettaient le moins de contraintes et le moins d’annulations éventuelles.”

La plupart des soirées que le collectif organise cet été doivent avoir lieu à la Station, club principalement extérieur situé dans le nord de Paris, et au Kilomètre 25, nouveau lieu de vie culturelle en open air près du canal de l’Ourcq.

D’autres suivent aussi ce modèle. Du 3 juillet au 31 août, le Rex Club et le Badaboum, deux clubs prisés de la capitale, ont déjà prévu une variété d’événements en dehors de leurs murs, dans une friche située en Seine-et-Marne. “Tout le monde a navigué à vue pendant des mois”, constate Yoann, selon qui les délais entre l’annonce gouvernementale et ladite réouverture des discothèques permettent difficilement de réenclencher la machine.

L’été 2020

L’été dernier, des considérations similaires se sont posées. Toutefois, la réouverture des lieux de fête n’étant pas même envisagée, nombre de collectifs en France avaient pris la décision d’organiser leurs événements dans des lieux publics, sans l’accord des autorités. Des free parties, la Culottée en a tenu une. “C’était nécessaire de proposer des fêtes, notamment sur les problématiques liées aux personnes LGBT afin d’offrir aux gens des lieux de rassemblement”, se rappelle Yoann. Désireux de proposer à celles et ceux qui viennent à ses soirées des espaces “safe” encadrés et protégés, il préfère ne pas récidiver cet été.

Chez Fausse Sceptique, la température est différente. Le collectif, très présent l’été dernier au bois de Vincennes, n’envisage pas un retour en discothèque, extérieure ou intérieure. “On voit toute la jeunesse, sur Facebook, se jeter corps et âme sur le moindre événement qui se profile, nous dit Manon, tête pensante du groupe. Moi, personnellement, ça me fait peur. J’ai le sentiment que ces fêtes sont un concentré de tout ce qui me dérangeait jusque-là dans le milieu, d’un point de vue capitaliste.” 

Saint-Denis, août 2020.

Un constat partagé par Johanna, DJ et organisatrice de fêtes clandestines, dont le prénom a été modifié par sécurité. Comme Manon, elle a contribué au boom des free parties en banlieue parisienne, l’été dernier. Comme Manon, elle a vu du monde danser devant ses platines. Parmi cette foule, des habitués de ce genre d’événements improvisés, mais aussi des novices.

“Ces gens ont découvert que la fête pouvait se faire en dehors des clubs, commente-t-elle. Le public s’est rendu compte qu’il pouvait être en autonomie avec ses amis, s’y retrouver et trouver un espace où il pouvait s’exprimer, danser, rencontrer des gens, sans nécessairement avoir les codes de ces soirées moins institutionnelles.”

Un continuum de la fête

Un phénomène aussi observé par Emmanuelle Lallement, anthropologue dont les objets d’étude portent notamment sur les phénomènes festifs. “Il existe un continuum de fêtes aujourd’hui, dans lequel on retrouve les fêtes institutionnalisées dont les villes font une gestion publique [exemple: les festivals, ndlr] et les free parties”, nous explique la professeure des universités.

Elle poursuit: “Il n’y a pas un public de l’une ou de l’autre. On peut être public de l’une et de l’autre. Les choses étaient-elles plus distinctes avant? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est qu’il y a une logique d’ensemble qui favorise la circulation des publics entre ces différentes formes de fête.”

Les free parties, aussi appelées “rave parties”, ne sont pas nouvelles. L’adhésion du public est-elle grandissante? La chercheuse s’interroge. Elles ont, selon elle, été surmédiatisées au cours de la pandémie parce qu’elles ont représenté, aux yeux du grand public, ce qui était interdit, irresponsable, voire dangereux.

Plus visibles, elles seraient aussi le fruit d’un “morcellement du phénomène festif”. “Il se commercialise, il s’institutionnalise. Il y a les fêtes chez soi et celles dans les espaces dédiés. Alors qu’il y a des fêtes organisées par des professionnels, d’autres le sont par tout un chacun, qui devient ainsi une sorte d’ingénieur de ses propres fêtes”, observe Emmanuelle Lallement.

Les discothèques, un monde caduc?

Johanna, elle, est plus critique. Cet engouement est l’expression d’un besoin de renouveau. “Le clubbing traditionnel n’a plus de sens à mes yeux, souffle la DJ. On voit bien que c’est un système festif économique lié à la rentabilité. Ce n’est compatible avec la volonté de faire vivre la culture. À l’heure où les choses ont besoin d’avoir un sens nouveau, le format club doit se réinventer.”

Ces propos ne viennent pas de nulle part. Depuis quarante ans, le nombre de boîtes de nuit dégringole en France: 4000 dans les années 1980, elles étaient quelque 1200 en 2020, selon des chiffres communiqués par l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie à BFMTV.

Le phénomène touche Paris, comme le reste du pays. “Les gens sortent encore, mais plus de la même manière, ils marchent plus à l’événement, leur façon de consommer les loisirs a changé. Ce qui est vraiment fini pour notre branche, ce sont les multisalles”, a estimé au micro de la chaîne de télé le patron du Kes West, référence dans le monde de la nuit dans le Pas-de-Calais qui a tiré le rideau en décembre 2019.

Derrière leurs apparentes différences, les free parties rejoignent bel et bien les discothèques sur un point. Elles sont des lieux de “retrouvailles”. Cette forme de sociabilité peut paraître éphémère, mais il n’en est rien. “Non seulement elles produisent du lien social, mais elles viennent le consolider et le réaffirmer en tant que tel”, appuie Emmanuelle Lallement.

On fait souvent la fête en souvenir d’une autre fête. On y retrouve des gens, pas forcément pour vivre quelque chose de nouveau, mais aussi pour reproduire ce qu’on peut avoir vécu avec eux. Des relations se créent sur le long terme. Les communautés qui naissent des free parties peuvent en témoigner. Elles pâtissent, aujourd’hui, de rapports violents avec les autorités.

Un acte revendicateur

Au mois de juin, une fête clandestine réunissant 1500 personnes à Redon, en Île-et-Vilaine, a été interrompue par les forces de l’ordre. Des affrontements ont eu lieu pendant la dispersion. Des grenades explosives auraient été utilisées et la main d’un jeune homme de 22 ans arrachée. Sur place, la police a également détruit une partie du matériel de musique, “l’objet d’une culture et de son expression”, regrette Emmanuelle Lallement. Amnesty International a demandé l’ouverture d’une enquête indépendante auprès du ministère de l’Intérieur.

Redon, juin 2021.

“La politique culturelle a besoin de se renouveler et c’est peut-être à nous de proposer ce renouvellement. On revendique notre place dans la société et ça dérange”, déplore Johanna. Elle était de celles et ceux qui, au mois de janvier dernier, ont été refoulés avec leur musique électronique de la manifestation contre la loi “Sécurité globale” par la préfecture. Du matériel audio, là aussi, avait été confisqué. “On veut sortir du bois”, poursuit l’organisatrice de fêtes. Elle espère, à terme, voir se créer des espaces publics dignes de ce nom pour faire la fête, “pas juste des boites privées financées par des labels”.

L’atmosphère répressive lui fait peur. Dans ce contexte, elle et son collectif préfèrent rester discrets. Cet été, pas de free party. L’ordre du jour: construire un endroit pour la rentrée, à l’abri des nuisances sonores. Du côté de Fausse Sceptique, on ne veut pas en rester là. Il y a urgence. “Si on veut proposer des événements cet été, c’est maintenant qu’on doit s’y prendre”, estime Manon. Où? Quand? Combien de personnes? Les discussions sont en cours. Elle est décidée: “Plus ça va, plus je me rends compte que faire la fête comme on le propose est un acte revendicateur.”

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