RACISME - Quelle proportion de Français ont des préjugés contre les Noirs? Voient-ils les descendants d’immigrés nés sur le territoire national comme leurs compatriotes? Les forces de l’ordre sont-elles formées pour accompagner une personne discriminée qui porterait plainte? Ces questions, le rapport annuel produit par la CNCDH (la Commission nationale consultative des droits de l’Homme) sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie y apporte des éléments de réponse.
Remis au gouvernement ce jeudi 8 juillet par l’institution, ce trentième état des lieux a été construit en questionnant, avec l’aide de chercheurs et de spécialistes des discriminations, des centaines de Français, dans le but de formuler ensuite des recommandations aux autorités. Camille Tauveron, coordinatrice du rapport de la CNCDH, revient pour Le HuffPost sur trois aspects particulièrement marquants de l’étude.
Quelles sont les catégories de population au sujet desquelles les Français ont le plus de préjugés?
Camille Tauveron: Pour commencer par un point positif, nous étions assez inquiets de devoir réaliser le sondage en ligne parce que le face-à-face à tendance à rendre plus mesurés certains propos. Et pourtant, les résultats que nous avons obtenus sont plutôt encourageants: on observe un niveau élevé de tolérance ainsi qu’un recul (même très relatif parce que les chiffres restent élevés) du pourcentage de gens qui adhèrent à un certain nombre de préjugés racistes ou discriminatoires.
Pour autant, notre étude au long cours continue de nous donner des tendances qui perdurent. On peut prendre l’exemple des Roms, auxquels les personnes interrogées associent les gens du voyage, qui sont et très nettement la minorité la plus stigmatisée en France. Si notre enquête montre que 79% des Français sont tolérants vis-à-vis des noirs, ils ne sont que 36% à l’être pour les Roms, avec donc cette confusion avec les gens du voyage.
58% des personnes interrogées pensent notamment que les Roms “vivent essentiellement de vols et de trafic”, un chiffre en recul par rapport à 2019, mais qui reste supérieur à une personne sur deux. Et ces préjugés discriminatoires ont des conséquences directes sur la vie au quotidien de ces personnes: on se rend compte que les aires d’accueil vont être pour un grand nombre polluées, isolées... En clair, il y a une corrélation entre la perception de certaines populations et la manière dont elles sont traitées.
Par ailleurs, on note que le cadrage médiatique de certains sujets a une influence sur les préjugés. Par exemple dans l’étude de cette année, 59% des personnes interrogées pensent que “l’islam est une menace contre l’identité de la France”, un pourcentage en recul de trois points par rapport à 2019, et on sait très bien que cette idée est corrélée au traitement médiatique de certains sujets, et par exemple ici à la question du voile.
Avez-vous repéré une population particulièrement discriminée en 2020?
Il est nécessaire de dire qu’une part importante des actes racistes passent sous le radar du ministère de l’Intérieur qui tient des statistiques officielles en fonction des plaintes reçues. On le sait parce que l’on a fait un focus sur le racisme anti-asiatique au début de la crise sanitaire et que dans le cadre d’un projet mené par le CNRS, on a pu conclure qu’une part significative de gens de 1ère, 2e ou 3e génération se sont sentis particulièrement stigmatisés au début de l’épidémie.
Le Covid-19 n’a pas créé une situation qui nous était inconnue, mais il a mis en lumière des choses préexistantes. En l’occurrence que les personnes vues comme chinoises par amalgame souffraient de discrimination. Là encore, le cadre médiatique de certains sujets est une explication: quand l’idée d’un “virus chinois” est développée dans les médias, on observe par exemple dans certaines cours d’école un processus de création de boucs émissaires.
On remarque également que les préjugés positifs sont eux aussi dommageables. Si l’on prend la population asiatique, on sait que les préjugés positifs peuvent très rapidement se retourner, et qu’ils créent en outre une différenciation entre les populations, en l’espèce que s’il y a une minorité modèle, d’autres minorités se comporteraient moins bien.
Ce qui nous a intéressé sur ce sujet, c’est de voir comment persistaient, au travers du traitement médiatique d’un phénomène, certains biais. Avec certains experts dans les médias, ou avec la manière dont on a pu parler différemment du confinement entre les quartiers populaires et le centre de Paris par exemple, on se rend compte que cela entretient certains préjugés discriminants, voire amplifie certains biais.
Comment faire pour inciter les victimes de préjugés et de discriminations à porter plainte davantage?
Je vous l’ai dit, une part importante des actes racistes ne sont pas signalés. Or notre objectif est de faire que cette autocensure diminue. Pour cela, nous recommandons d’intégrer des formations, une éducation au droit. Pour les petits, mais aussi tout au long de la vie. Avec l’envie de dire aux populations ce que sont leurs droits, quels sont ces droits, comment porter plainte.
Depuis quelques années, il existe aussi beaucoup de cellules d’écoute et de veille, des dispositifs de référents… Ce que nous voulons, c’est faire connaître ces initiatives pour que les gens réalisent qu’elles existent déjà. Nous ne souhaitons pas créer davantage de systèmes d’alerte ou d’information, mais faire prendre conscience aux publics qu’ils sont déjà en place.
Ensuite, il est nécessaire que les professionnels qui sont au contact des populations victimes de discrimination soient capables de les accompagner. Pour les enseignants et les forces de l’ordre par exemple, nous nous inquiétons du recul de la durée de formation. Tout le monde a des préjugés, mais si ces professionnels sont formés pour modifier les préjugés ou les faire taire, et que cette formation se fait de façon continue, que les réflexes enseignés sont régulièrement réactivés, alors ils pourront mieux lutter contre les discriminations. On réalise qu’il existe une grande part de discrimination inconsciente dans la société, des gens qui ne se disent pas du tout racistes et qui ne se rendent pas compte des biais qu’ils ont. La formation est le meilleur moyen d’éviter cela.
Un élément positif à ce propos, c’est que les signalements en ligne ont augmenté en 2020. Les circonstances ont certes fait que les gens étaient davantage chez eux, qu’ils avaient plus de temps, mais aussi que la plateforme de signalement Pharos est de mieux en mieux connue. Désormais, il est important que ces signalements soient remontés et qu’ils puissent être traités. L’essentiel, pour nous, comme nous en faisons la recommandation, c’est de renforcer les effectifs humains dédiés à ces tâches, de créer une instance de lutte contre les discriminations spécifiques au web et d’obtenir des garanties de la part des plateformes en ligne quant à leur engagement contre le racisme tout en évitant une sur-censure où trop de contenus seraient retirés.
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