Pass sanitaire: Vous vivrez quoi qu’il en coûte?

Toulouse, le 14 août 2021: Des milliers de manifestants sont descendus dans la rue à Toulouse contre la vaccination rendue quasi obligatoire et contre le pass sanitaire après le discours de Macron du 12 juillet. Plus de 220 000 personnes ont manifesté dans toute la France. (Photo by Alain Pitton/NurPhoto via Getty Images)

Qu’est-ce que la liberté? Depuis le début de la crise sanitaire, le mot liberté a pris une place importante dans les médias et dans les slogans de toutes sortes. La liberté individuelle est brandie contre le pass sanitaire d’un côté, de l’autre c’est ce dernier qui serait le chemin vers la liberté.

Essayons alors de proposer un commencement de réponse à la question sans doute originelle: qu’est-ce que cette liberté qui virevolte sous les plumes, les révoltes et les sentences? Car vivre libre ce n’est pas seulement aller au restaurant, au café ou au théâtre.

 

Vivre libre ce n’est pas seulement aller au restaurant ou au théâtre. Être libre, c’est trouver en soi, par soi, l’origine même de sa pensée et de son action.

 

Être libre, c’est trouver en soi, par soi, l’origine même de sa pensée et de son action. C’est être le premier principe de sa réflexion et de son comportement. C’est avoir conscience de la provenance de ses idées et de ses actes. Il s’agit aussi, autant qu’il est possible, d’en connaître les conséquences et d’accepter l’incertitude. Être libre c’est pouvoir identifier ce qui nous conditionne afin de s’ouvrir au changement.

Être libre, c’est se distancier de la crainte, de l’émotion, des instincts afin de prendre le recul nécessaire à l’acte de penser, à la conscience de nos actions.

La liberté, c’est aussi être soi-même l’origine et les moyens de notre adaptation au monde. Autrement dit, un être libre est l’acteur de sa propre vie, en pose les principes, les règles, et choisit les moyens de cette adaptation.

Tout cela, bien sûr, avec la présence, l’inspiration et la participation de l’altérité.

Être libre, c’est pouvoir jouir de la différence essentielle entre mon “espace” privé, intime, et “l’espace” public.

C’est au moins ici l’une des approches de la liberté, même si cela est insuffisant. 

La liberté est risque 

Nous savons que l’adaptation au monde n’est pas chose facile. Elle requiert des efforts. Elle est une traversée constante de risques. Il n’existe aucune liberté sans risque. Être “lâché” dans le monde comme seul responsable de ses actes et pensées, c’est affronter l’ordre de la nature, les exigences du monde social, c’est être amené à faire des choix qui peuvent mener au succès ou à l’échec. Choisir, c’est être confronté à la possibilité du fiasco. La vie est risque. La liberté ne l’est pas moins.

L’être libre est responsable de ses pensées et de ses actes, il doit donc en répondre, et il doit de surcroît trouver une harmonie compliquée avec la réalité. La liberté n’est pas une sinécure.

Tous les individus et toutes les nations qui ont lutté pour leur liberté ont globalement suivi ce principe: vivre libre ou mourir. Ici, la liberté dépasse tout jusqu’à la peur du trépas. Elle est la valeur fondamentale qui comprend que le risque fait partie intégrante de son essence. On lutte pour obtenir la liberté, on lutte pour la conserver.

 

Dans une société où la vie à tout prix, quelle que soit cette vie, ce qu’on pourrait appeler un acharnement biologique, ou un acharnement sécuritaire, devient la valeur essentielle, la liberté s’affaiblit.

 

Or, dans une société où l’on tend de plus en plus vers l’idée du risque zéro, on comprend que la liberté perd logiquement de son importance.

Dans une société où la vie à tout prix, quelle que soit cette vie, ce qu’on pourrait appeler un acharnement biologique, ou un acharnement sécuritaire, devient la valeur essentielle, la liberté s’affaiblit.

Il ne s’agit pas d’un affaiblissement volontaire organisé par une bande de dictateurs, mais d’une société entière qui dérive progressivement, sans s’en rendre compte, vers un nouveau principe: vous vivrez quoi qu’il en coûte.

Un petit à petit qui nous affaiblit

Vivre, oui, bien sûr, mais ce quoi-qu’il-en-coûte pose problème. Toute la question est là.

Voici un principe comme celui-ci, cause de la crise actuelle: l’argent, quoi qu’il en coûte.

Alors on a vu des choses fondamentales pour notre vie partir en Chine. On a vu, petit à petit, lentement, les hôpitaux partir en déliquescence, et cela sur une longue période. On en connaît les résultats: perte d’autonomie, engorgement des hôpitaux. Sur le moment on a pensé que ce n’était pas grave: un peu ici, un peu là, rien d’important. Sauf que la somme de tout cela nous explose à la figure. Où est la liberté?

Même chose pour la catastrophe écologique qui s’annonce: un peu de pot d’échappement ici, un peu de réchauffement là, pas grave. C’est un peu. On connaît la suite. Où sera notre liberté dans l’effondrement climatique?

Alors si on accepte un peu de privation de liberté ici, un peu là, où va-t-on? Je laisse chacune et chacun répondre.

 

Pour celles et ceux qui sont morts ou qui ont souffert pour leur liberté, on ne vit pas quoi qu’il en coûte.

 

Pour celles et ceux qui sont morts ou qui ont souffert pour leur liberté, on ne vit pas quoi qu’il en coûte. Vivre dans la peur constante n’a jamais été une option pour ces défenseurs de la liberté.

Ce quoi-qu’il-en-coûte tente d’éradiquer le risque de vivre propre à la liberté, sans en avoir forcément conscience, ce qui est une illusion qui masque ce qui peut devenir une dérive vers le tout sécuritaire.

On est en sécurité dans les “cachots”

Comme l’écrit Jean-Jacques Rousseau dans Du Contrat social: “On vit tranquille aussi dans les cachots. En est-ce assez pour s’y trouver bien?” Tranquille signifiant ici en sécurité. Il faut aussi relire à cet égard la fable de La Fontaine, Le loup et le chien.

Précisons qu’un cachot, ici, et bien sûr, doit être pris au sens très large du terme. Il ne s’agit pas seulement de quatre murs, d’une porte et d’une serrure.

La grande difficulté pour une société est de trouver une harmonie entre la liberté et le minimum de sécurité nécessaire pour la vivre pleinement. C’est la tâche ardue de la démocratie. Mais jamais une démocratie ne pourra fonctionner par la peur, par la crainte ou un autre sentiment de désarroi.

Une société démocratique, et donc libre, doit accepter le risque inhérent à la liberté, risque calculé autant que faire se peut, risque analysé, risque pesé, mais risque quand même, avec toute l’incertitude qui le définit. Il y a ainsi toujours une limite qu’il ne faut pas dépasser. La lucidité est l’acuité intellectuelle, éthique, politique de ne pas la franchir.

Alors oui, vivre avec les autres tout en demeurant libre, c’est prendre un risque, c’est faire en sorte qu’il soit le plus faible possible, mais ce n’est jamais vouloir le faire disparaître.

 

La grande difficulté pour une société démocratique est de trouver une harmonie entre la liberté et le minimum de sécurité nécessaire pour la vivre pleinement.

 

Croire qu’on sera libre si l’on est contrôlé, catégorisé, fiché, enregistré, est une illusion majeure. C’est contradictoire. Le problème est que cette illusion peut toucher tout le monde, les dirigeants politiques comme les autres. Car ce ne sont pas seulement les politiques qui sont responsables d’une possible dérive. Ici le problème serait facilement résolu, mais c’est toute la société qui est concernée, l’ensemble des citoyennes et des citoyens. C’est ainsi toute une société qui est menacée et toute une société, alors, qui doit réagir. 

La relativisation peut être dangereuse

Certains relativisent en comparant les dictatures de ce monde et les démocraties. Il ne faudrait donc pas se plaindre. Oui, bien sûr qu’il y a une différence entre la France et l’ordre des Talibans ou autre idéologie violente. Bien sûr. C’est évident, est-il d’ailleurs besoin de le souligner. Le problème est ailleurs.

La liberté requiert une vigilance constante pour être préservée, quel que soit le système, car, il faut le dire et le redire, une société du contrôle, déjà théorisée par plusieurs philosophes, peut se mettre en place lentement, par étapes, dans une démocratie. Une telle société fait petit à petit disparaître, entre autres, la différence entre “l’espace” privé et “l’espace” public.

 

Une société démocratique, donc libre, doit accepter le risque inhérent à la liberté, risque calculé autant que possible, risque analysé, risque pesé, mais risque quand même.

 

Il y a deux façons, au moins, de perdre sa liberté. La première est la violence des extrémismes. La seconde est la mise en place progressive de règles, de normes et autres obligations autoritaires avec pour raison la sécurité et la santé à tout prix.

C’est la raison pour laquelle il faut relativiser, certes, mais conserver une vigilance, car ce n’est pas, pour utiliser une métaphore, parce que l’on tue des gens ailleurs qu’il faut accepter de prendre des gifles ici.

Relativiser peut aussi mener à cette affirmation: “Accepter votre malheur car il y a plus malheureux que vous.” On comprendra la dérive qui peut en résulter.

Vivre la liberté, c’est demeurer constamment vigilant, a fortiori dans un système qui peut se perdre lui-même sans s’en rendre compte parce qu’il abuserait, entre autres, de la relativisation.

 

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